Valuable insights
1.L'image de la philosophie ternie par les figures médiatiques: Les déclarations grandiloquentes et souvent superficielles de philosophes stars sur des sujets complexes nuisent gravement à l'image de la discipline en France, la rendant comparable à des figures scientifiques controversées.
2.Les quatre piliers du discours philosophique médiatique: Le discours type repose sur l'énoncé de banalités présentées comme profondes, la relativisation historique, la déploration sans contre-factuel, et une envolée humaniste abstraite, évitant l'analyse technique.
3.La dissertation, format central de la philosophie française: La formation philosophique française, axée sur la dissertation, favorise un exercice rhétorique déconnecté de la recherche spécialisée, encourageant l'opinion généraliste sur l'expertise pointue.
4.Le philosophe médiatique, éditorialiste du temps long: Les médias privilégient le philosophe comme éditorialiste sophistiqué, capable d'offrir une perspective générale sur l'actualité plutôt que l'expertise technique requise par les enjeux contemporains.
5.L'invisibilité des spécialistes en philosophie appliquée: Les véritables spécialistes en éthique médicale ou épistémologie sont rarement sollicités, laissant la place aux figures caricaturales pour commenter la crise sanitaire et ses implications éthiques.
Michel Onfray, expert des Covid-1 à 18
Michel Onfray, philosophe reconnu et enfant du pays normand, s'est positionné comme expert de la crise du COVID-19. Neuf mois après le début de la pandémie, cet auteur prolifique a publié un ouvrage intitulé La vengeance du pangolin, sous-titré « Penser le virus ». Cette production littéraire illustre l'empressement de certains philosophes à commenter des sujets nécessitant une expertise scientifique pointue, utilisant leur seule compétence philosophique pour analyser la situation.
Pourquoi les philosophes médiatiques disent-ils si souvent de la merde ?
La question centrale demeure la fréquence à laquelle les philosophes médiatiques produisent des déclarations qualifiées ici de « merdassou grandiloquente » ou « merdouille rhétorique ». Au-delà du comique involontaire, ces propos nuisent sérieusement à l'image de la philosophie en France. L'analogie est faite avec la science : si l'image des sciences était véhiculée principalement par des figures comme les frères Bogdanov, un problème grave serait immédiatement identifié par les scientifiques.
L'image du philosophe par excellence, telle que véhiculée par les médias, est peut-être la seule idée que beaucoup de gens s'en font : c'est Onfray ou BHL.
Analyse du traitement médiatique du coronavirus
L'attention se porte spécifiquement sur la manière dont les médias ont traité la parole philosophique concernant le coronavirus ces derniers mois. Cette période offre un cas d'école fascinant pour observer la mise en scène de ces figures intellectuelles face à une urgence sanitaire et scientifique.
BHL : "Absurdité médicale. Forfait moral et politique. Crime contre l'esprit. #CeVirusQuiRendFou"
Bernard-Henri Lévy (BHL), reconnaissable à sa chemise blanche stratégiquement déboutonnée, a publié durant l'été un essai virulent intitulé Ce virus qui rend fou. Cet ouvrage critique la « folie sanitaire » ambiante. L'impact médiatique de BHL est notable, comme en témoigne un tweet surréaliste où il qualifie le malade asymptomatique de « coupable ».
L'absurdité du tweet de BHL
Le tweet mentionnant « Absurdité médicale. Forfait moral et politique. Crime contre l'esprit. #CeVirusQuiRendFou » a même reçu une réponse publique du ministre de la Santé, assurant sa diffusion médiatique. Ce type de propos grandiloquent, prétendant s'élever au-dessus de la masse sans maîtriser le sujet, rend l'intervenant totalement ridicule.
C'est typiquement ce genre de propos qui forgent l'identité médiatique du philosophe : la parole grandiloquente qui prétend s'élever au-dessus de la masse.
- Une posture de supériorité intellectuelle.
- L'utilisation d'un jargon emphatique.
- Un manque flagrant de maîtrise du sujet technique abordé.
Qui est le philosophe-Covid de référence ?
Pour achever ce tour d'horizon des commentateurs de la crise, il faut identifier le philosophe le plus cité. Contrairement à Onfray qui a écrit un livre, le philosophe de référence est André Comte-Sponville (ACS). Bien qu'il n'ait rien publié spécifiquement sur le sujet, il est omniprésent dans les médias, incarnant l'archétype du philosophe consulté sur toute question sociétale.
WTF : Onfray vitaliste et BHL prophète
Des exemples supplémentaires illustrent la profondeur du « what the fuck ». D'un côté, Michel Onfray s'extasie sur le fait que Raul (probablement un autre penseur ou une référence interne) dispose d'une « ligne directe avec la vie », s'inscrivant dans une spiritualité vitaliste qui frôle la pseudoscience si elle est prise au sens littéral.
La déclaration d'impossibilité de BHL
De son côté, BHL déclare l'impossibilité d'une seconde vague, citant les tests, les masques et l'immunité, le tout sous le hashtag #CeVirusQuiRendFou. L'auteur de la vidéo constate que l'individu se parodie lui-même. Ces prises de position, qu'elles soient vitalistes ou déclaratives, représentent bien la « grosse merde » que les philosophes médiatiques produisent sur des sujets complexes.
André Comte-Sponville : le philosophe archétypal
André Comte-Sponville occupe un degré différent, étant nettement moins caricatural que BHL ou Onfray. Son succès médiatique s'explique peut-être par le fait qu'il incarne très bien, avec panache mais sans excès, le point de vue que le grand public se fait du philosophe en général. Il est l'archétype, ce qui le rend paradoxalement très intéressant à étudier.
Les quatre thèmes récurrents du discours
Quatre points reviennent constamment dans ses interventions, des thèmes que l'on retrouve également chez BHL et Onfray, confirmant son statut de philosophe archétypal.
- Énoncer des banalités profondes.
- Relativiser les enjeux actuels.
- Déplorer sans proposer de comparaison contrefactuelle.
- L'envolée humaniste.
1) Énoncer des banalités profondes ("La mort fait partie de la vie"
Le premier point consiste à énoncer des généralités que tout le monde connaît, comme le fait que la santé n'est pas la seule valeur suprême, ou que le courage, la liberté et le bonheur sont également essentiels. Il est affirmé que la mort fait partie de la vie et qu'il faut accepter notre mortalité, souvent en citant Montaigne pour légitimer cette banalité face aux journalistes.
L'analogie du docteur souriant
Cette posture rappelle celle d'une version IRL du docteur en philosophie qui, face à quelqu'un mourant, répondrait avec un sourire que tout le monde est mortel. L'intention semble être de rappeler une sagesse antique, mais le résultat est souvent une affirmation vide de substance face à une crise aigüe.
2) Relativiser ("Montaigne a connu la peste, ça c'était quelque chose."
La seconde caractéristique est la volonté de minimisation et de relativisation. Le discours suggère que la situation actuelle n'a rien d'exceptionnel, car les philosophes possèdent un recul historique grâce à des siècles de philosophie. L'argument est que Montaigne a connu la peste, dont le taux de mortalité était proche de 200%, ce qui relativise l'impact de la COVID-19.
Bien que le nombre de morts du COVID-19 commence à se rapprocher de certaines statistiques annuelles (comme les cancers), cette relativisation ignore le fait que le nombre relativement faible de décès jusqu'alors est la conséquence directe de mesures radicales prises pour freiner la propagation du virus.
(3) Déplorer sans comparer
La troisième caractéristique est l'absence de raisonnement contrefactuel, c'est-à-dire l'incapacité d'évaluer ce qui se serait passé si d'autres actions avaient été entreprises. Cette absence est couplée à une déploration du cours actuel des choses, souvent exprimée par des phrases du type : « On en a trop fait », « On voit pas pourquoi on restreint tant nos libertés », sans jamais proposer explicitement une alternative viable.
Quand on sait pas, on ferme sa gueule.
Critique de la posture de plainte
L'absurdité de cette posture est résumée par une formule de BHL sur le masque : « Le masque est pâle et le porter en râlant ». Si l'intention est de critiquer l'imposition du port du masque, l'orateur ne précise jamais quelle décision alternative aurait dû être prise et quelles en auraient été les conséquences sanitaires. Évaluer les conséquences d'une politique épidémiologique demande des compétences que les philosophes ne possèdent pas, compétences relevant notamment des épidémiologues.
(4) Envolée humaniste
Le quatrième point, le plus caractéristique, est l'envolée humaniste contre l'inhumanité médicale. Il s'agit de rappeler avec émotion que la vie humaine ne se réduit pas à des chiffres, que le rapport à l'autre ne se limite pas aux gestes barrières, et qu'il faut condamner l'hygiénisme et le « plan médicalisme ».
- L'hygiénisme sanitaire.
- Le sanitairement correct (contraire de la liberté de l'esprit).
- Le plan médicalisme (tout sacrifier à la santé au détriment de la liberté et du bonheur).
Cette rhétorique insiste sur la richesse et la spécificité de la vie, cet « être humain, c'est ce paquet d'organes, c'est aussi un trait de foudre ». Cependant, cette lyrique omet de mentionner que des démocraties, comme la Corée du Sud, ont géré la crise de manière exemplaire sans que leurs commentateurs ne soient érigés en modèles de sagesse médiatique.
Le café du commerce en plus érudit
Ces quatre points forment un discours qui n'a rien d'original. Il s'agit essentiellement d'idées de café du commerce, mais servies avec panache et érudition, donnant l'illusion de la profondeur. Le succès de ces figures tient au plaisir que ressent le public à reconnaître des pensées banales qu'il a lui-même eues, mais enveloppées dans le cachet de sagesse antique du philosophe.
Les philosophes médiatiques ne disent pas tous de la merde mais sont surtout médiatisés QUAND ils en disent
Heureusement, des philosophes offrent des analyses pertinentes sur la pandémie, comme Étienne Klein ou Raphaël Enthoven. Néanmoins, ces voix sont beaucoup moins audibles médiatiquement. Même les philosophes pertinents adoptent souvent la formule « je ne suis pas médecin, mais... », reconnaissant la complexité de l'épidémiologie, contrairement à ceux qui tiennent des propos absurdes.
L'illusion de la connaissance commune
L'illusion que l'expérience commune peut fonder la science est criminelle et délétère, surtout lorsque la médecine est moins une science exacte que la philosophie. Le progrès serait déjà notable si un philosophe comme Enthoven, doté d'une stature médiatique suffisante, devenait la référence à la place des trois mousquetaires du COVID (Onfray, BHL, ACS).
La question se déplace alors : pourquoi les philosophes sont-ils médiatisés quand ils disent des contrevérités, comme Onfray discutant le réchauffement climatique via la physique quantique ? C'est peut-être parce que les plus médiatisés sont ceux qui produisent le plus de « merde » sur des sujets pointus.
Rôle du scientifique vs. rôle du philosophe
Le scientifique est attendu sur son champ d'expertise pour présenter l'état du débat, non pour donner son opinion personnelle sur tout. Les journalistes comprennent généralement cette distinction. Or, on attend du philosophe sur un plateau télé non pas l'état du débat dans un champ de la philosophie dont il serait spécialiste, mais son point de vue général sur le monde, son opinion, sa pensée.
La dissertation comme exercice philosophique roi
Le philosophe médiatique est attendu pour disserter sur tout et n'importe quoi. La dissertation est intimement liée à l'image de la philosophie en France, étant l'épreuve reine dans les classes préparatoires littéraires et les concours comme l'agrégation. Cet exercice rhétorique, parfois basé sur un seul mot comme « clarté » ou « le tas et le tout », façonne des esprits entraînés à l'art de la rhétorique plutôt qu'à la recherche philosophique véritable.
Le philosophe : un éditorialiste en mieux (ou en pire)
Pour les médias, le philosophe est une variation chic et noble de l'éditorialiste, un éditorialiste du temps long qui porte un regard critique sur le monde depuis sa montagne de 25 siècles de philosophie. On attend de lui qu'il parle de liberté et d'humanité, plutôt que d'aborder des questions techniques précises, comme les justifications éthiques des essais contrôlés randomisés. Inviter un spécialiste de philosophie de la médecine est jugé moins divertissant.
Quand un scientifique se prétend philosophe...
Cette perception que la philosophie n'exige pas d'expertise particulière a pour effet pervers que n'importe qui peut s'en draper. Lorsqu'un scientifique se réclame de Nietzsche ou de Husserl pour se positionner en humaniste post-moderniste, cela est jugé télégénique. Il devient difficile d'opposer la parole de véritables spécialistes, car le public considère que tout le monde a fait de la philosophie au bac.
L'incompétence sur l'épistémologie
Les philosophes compétents sont atterrés par l'incompétence de figures comme Onfray lorsqu'il aborde l'épistémologie. L'épistémologie, qui traite par exemple des fondements de l'éthique médicale, n'est pas un hobby, mais une discipline rigoureuse.
Il faut des spécialistes. Mais où les trouver ?
Il est nécessaire d'entendre des discours instruits sur des sujets comme les essais contrôlés randomisés, ce qui sera de nouveau crucial concernant les vaccins. Il serait souhaitable que les philosophes médiatiques soient de vrais spécialistes en philosophie morale, épistémologie ou philosophie de la médecine, plutôt que des grands diseurs brillants et creux.
Appeler le SAV de la philosophie
Face à la difficulté de trouver ces spécialistes, une solution existe : appeler le SAV de la philosophie. Il s'agit d'un compte Twitter collaboratif où des philosophes de diverses spécialités sont disponibles pour répondre aux demandes d'interviews ou de collaborations de la part de journalistes ou vulgarisateurs.
Supplément : Onfray expliquant le réchauffement climatique par le multivers de la physique quantique (et pourquoi c'est pas grave de rouler en diesel, du coup)
Un exemple frappant de l'usage inapproprié de concepts scientifiques se trouve dans l'explication par Onfray du réchauffement climatique à travers le multivers de la physique quantique. Il suggère que notre univers n'est qu'une bulle parmi une infinité, et que les interactions lointaines (comme les ondes gravitationnelles) rendent notre impact local (comme rouler au diesel) négligeable dans le cosmos.
- Imaginez la totalité de votre bain moussant dans la baignoire.
- Chaque bulle qui s'échappe représente un univers.
- Notre univers observable est seulement une de ces bulles.
Cette argumentation, bien qu'elle puisse inviter à une certaine modestie quant à la connaissance totale du réel, ne doit pas servir de prétexte pour éviter de faire le nécessaire afin de ne pas ajouter du pire au pire. Il s'agit d'agir sans culpabiliser inutilement, mais en reconnaissant les responsabilités locales.
Outro
En conclusion, il est impératif de traiter la philosophie comme tout autre champ de recherche, en donnant la parole à des spécialistes des sujets abordés. Si les journalistes adoptaient cette attitude, la philosophie pourrait enfin sortir de la rhétorique grandiloquente qui la caractérise actuellement sur les plateaux. Le recours aux spécialistes, comme le SAV de la philosophie, est la voie pour garantir un discours philosophique pertinent.
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