Valuable insights
1.L'interprétation est au cœur des textes sacrés: La question fondamentale concernant les textes sacrés réside dans la manière dont ils sont interprétés, ce qui diffère grandement entre les religions et leurs courants internes. L'interprétation détermine la relation de chaque communauté avec son corpus doctrinal.
2.Le judaïsme valorise la plasticité de la révélation: La tradition juive illustre que l'enseignement divin peut se transmettre et évoluer à travers les générations, même si le langage et les préoccupations changent, nécessitant une adaptation constante du sens originel.
3.La Loi Orale égale la Loi Écrite: Le dogme de la double révélation (Torah Écrite et Torah Orale) implique que l'interprétation rabbinique, même développée des siècles plus tard, possède un statut révélé équivalent au texte initial.
4.La contradiction est encouragée dans l'étude: Le débat et la contradiction entre sages sont considérés comme une manière d'approcher la parole de Dieu, empêchant la figeaison d'une vérité unique et évitant l'idolâtrie d'une parole unique.
5.Le texte appartient à ses lecteurs: L'herméneutique juive suggère que la signification ultime d'un texte émane de sa lecture et de son interprétation autorisée, plutôt que de la seule intention originale de l'auteur ou du législateur.
6.Ne jamais juger une religion par ses textes bruts: Juger une religion uniquement sur des versets isolés de ses textes fondateurs est une erreur, car ce qui caractérise une religion est la manière dont elle interprète et applique ces écrits dans sa communauté.
Introduction et Définition du Débat
L'analyse des textes sacrés constitue le thème central de la discussion, soulignant que l'approche de ces écrits varie significativement d'une religion à l'autre, et même entre les courants au sein d'une même tradition. Chaque intervenant doit définir quels textes sont considérés comme sacrés dans sa religion et comment ils sont traités : élagués, rapportés ou interprétés. Il est crucial d'examiner comment les diverses méthodes, y compris celles inspirées par les sciences humaines comme l'histoire ou l'archéologie, interagissent avec ces écrits, tout en se méfiant du littéralisme qui réduit abruptement des propos sans nuance.
Présentation des Conférenciers
La soirée réunit plusieurs experts pour éclairer ces questions complexes. Monsieur Yan Boissière représente le mouvement libéral pro-France du judaïsme libéral de France. Il est rejoint par Monsieur James Noël Perez, pasteur et représentant de la tradition luthérienne. Enfin, Monsieur Gavin Chiffrables, chercheur au CNRS spécialisé en islamologie et chercheur invité à l'Institut Catholique de Paris, apporte une perspective additionnelle.
La Question de l'Interprétation Juive
La réflexion se concentre principalement sur la manière dont le judaïsme envisage l'interprétation d'une parole considérée comme sainte, voire divine. L'objectif n'est pas de pointer des contradictions textuelles spécifiques, mais d'établir un niveau général de réflexion sur l'attitude rabbinique face à cette parole. Les rabbins se sont-ils autorisés à toucher ou à interpréter ce texte, et quel est leur point de vue face au littéralisme ? Ces questions mènent à l'exploration du concept fondamental de la Loi Orale et de la Loi Écrite.
La Dualité Torah Écrite et Torah Orale
Pour positionner la tradition juive, deux histoires tirées du Talmud sont présentées, illustrant la pensée rabbinique. La Bible est composée de la Torah (Pentateuque), des Prophètes et des Hagiographes. Bien plus tard est apparu le Talmud, un vaste recueil de 43 traités couvrant tous les domaines de la vie, avec une visée légale pour organiser la vie. Ce corpus, loin d'être cartésien, mêle lois et discussions contradictoires, incluant des récits appelés Midrashim, qui servent à lire et interpréter les textes.
Première Histoire : Moïse et Rabbi Akiva
Moïse, recevant la Torah, observe Dieu ajouter de petites couronnes esthétiques sur les lettres. Dieu explique qu'un jour, un rabbin interprétera ces couronnes. Moïse est transporté des siècles plus tard auprès de Rabbi Akiva (qui vécut vers 130-153 de l'ère chrétienne). Moïse, assis au dernier rang de l'académie talmudique, ne comprend rien à l'enseignement de Rabbi Akiva. Il retourne déçu vers Dieu, mais est renvoyé écouter la fin du raisonnement. Un élève lui assure que l'enseignement de Rabbi Akiva est bien une explication directe de la Torah donnée au Mont Sinaï, démontrant la plasticité de l'interprétation face à l'évolution du langage et des préoccupations intellectuelles.
La vie va assister un enseignement au crédit ne comprenais rien qui est pourtant présenté comme en droite ligne de l'enseignement d'un rigorisme sadi déjà.
Deuxième Histoire : L'Autorité Divine Contre la Majorité
La seconde histoire oppose Rabbi Eliezer et Rabbi Yehoshua sur une question de cacherout. Rabbi Eliezer affirme sa justesse en invoquant des miracles : un caroubier se déracine, un cours d'eau se détourne, et les murs de la synagogue s'inclinent. Enfin, il demande à Dieu d'intervenir. Une petite voix divine tranche en faveur de Rabbi Eliezer. Cependant, Rabbi Yehoshua proteste vigoureusement, déclarant que Dieu leur a donné la Torah et que désormais, les décisions se prennent à la majorité ; un miracle n'est pas une preuve. Dieu, rencontrant plus tard le prophète Élie, admet que ses enfants l'ont vaincu avec fierté.
- La plasticité de l'interprétation face au temps.
- Le transfert de l'autorité de Dieu à la discussion humaine majoritaire.
- L'éloignement progressif entre le texte littéral et son application.
L'Axiome de la Révélation Progressive
Le judaïsme repose sur le dogme de deux révélations : la Torah Écrite, transmise par écrit, et la Torah Orale, qui est l'interprétation rabbinique. Un verset mystérieux suggère que les deux Torot furent données simultanément au Mont Sinaï. Cela implique que l'ensemble des commentaires, incluant tout le Talmud et les codes rabbiniques accumulés sur des siècles, possède le même statut révélé que le texte de base. Cette affirmation pose une impossibilité logique apparente, mais signifie que la révélation est progressive, conférant un statut égal à l'interprétation authentique.
Statut de l'Interprétation
Il existe un devoir d'interpréter, et cette interprétation possède le même statut que la parole initiale. Le littéralisme est donc écarté au profit d'une lecture sans cesse plastique et évolutive. Les rabbins ont ainsi mis fin au modèle du prophète inspiré unique ; c'est la discussion humaine, menée de manière démocratique, qui détermine le texte divin en pente, et non plus un seul interprète charismatique imposant la vérité.
La Valorisation de la Contradiction
De manière surprenante, la contradiction est chérie et développée. La parole de Dieu est comparée à un marteau frappant un rocher, produisant soixante-dix saveurs. Les sages discutent ensuite dans un cadre humain. Cette multiplicité d'avis, comme les controverses entre Hillel et Shammaï, est symptomatique de la manière dont le Talmud est construit. La contradiction empêche de figer la parole et de faire de Dieu une idole.
Même dans le code de lois qu'est le Talmud, on cite toujours un avis et son contradictoire. La conservation des avis minoritaires est débattue : soit pour montrer la position disqualifiée, soit parce qu'un jour cet avis pourrait devenir majoritaire. La contradiction est donc une source de dynamique potentielle, assurant que les choses ne sont jamais figées face à cette réalité divine qui dépasse l'intellect humain limité.
Herméneutique et Propriété du Texte
Des techniques extrêmement précises d'interprétation, appelées herméneutique juive, ont été développées. Celles-ci incluent la lecture à plusieurs niveaux, connue sous l'acronyme hébreu Pardes, qui distingue quatre niveaux de lecture : Peshat (évident), Remez (allusion), Drash (interprétation), et Sod (secret ou mystique). Cette activité interprétative a été historiquement installée par Israël avant même les découvertes de la philosophie contemporaine sur le cercle herméneutique.
La Connexion des Versets
La méthode d'exégèse juive consiste souvent à prendre un verset et à le mettre en rapport avec un autre verset situé à l'autre bout de la Torah, qui semble n'avoir aucun lien apparent. C'est comme tremper un pied dans la mer : on entre en contact avec l'extrémité de l'océan. Dès lors qu'une phrase partage une seule lettre avec une autre, elles ont quelque chose à se dire, créant des étincelles de sens inattendues à travers des connexions apparemment folles.
L'Exigence de Lecture
Après l'exil à Babylone, Ezra a instauré la lecture et la traduction (Targum) de la Torah, ce qui implique nécessairement interprétation. Le mot hébreu utilisé, Deresh, signifie exiger. On exige du verset qu'il nous dise des choses que l'on n'avait pas initialement envie d'entendre ou qui ne sont pas explicitement données. Cela justifie la mise en rapport avec d'autres versets, faisant du texte un texte de lecteurs.
Interpréter un texte, ce n'est pas essayer de retrouver ce que l'auteur avait en tête, c'est interpréter de manière autorisée.
La théorie qui a triomphé, illustrée par Rabbi Yehoshua, est qu'il existe une déconnexion entre l'interprétation et l'intention de l'auteur. Les parents laissent un testament à leurs enfants avec l'autorisation d'interpréter le texte comme ils le comprendront. Il y a filiation car l'autorité est transmise, mais la signification ultime dépend des lecteurs, pourvu qu'ils soient autorisés à interpréter. Le texte appartient donc beaucoup plus à ses lecteurs qu'à sa source initiale.
Au-Delà du Littéralisme Textuel
Dans le monde actuel, où les religions sont souvent mises en exergue comme facteurs explicatifs du désordre, il est essentiel de ne jamais juger une religion uniquement au nom de son texte fondateur. Il est trop facile de chercher des versets qui semblent déplacés, alors que les textes sont intrinsèquement contradictoires, et qu'une religion se définit par la manière dont elle interprète ses textes, parfois en faisant l'exact opposé de ce qui est écrit.
Le Danger du Textocentrisme
Il faut éviter le textocentrisme exagéré. Une religion est aussi une communauté d'hommes vivant sous une latitude et un contexte politique précis. Les expressions des religions (judaïsme, sunnisme, etc.) ne se résument pas à leur corpus doctrinal. L'importance accordée aux textes dans l'appréciation politique ou sociale des situations actuelles est souvent survalorisée ; ce sont les réalités sociales et les contextes qui expliquent les situations, pas un verset isolé.
Facteurs Culturels et Pluralité
Les véritables clés d'analyse résident dans les facteurs culturels d'une religion. La question de savoir si une expression est littéraliste ou non, la place faite aux femmes, ou son ouverture au pouvoir politique sont des facteurs déterminants. Il est notable que les littéralistes de religions différentes sont souvent plus proches les uns des autres que des coreligionnaires modérés au sein de leur propre foi, démontrant que l'analyse doit dépasser le seul cadre textuel.
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