Permaculture : Utopie bobo ou révolution du quotidien ?

L'accueil dans ce lieu spécifique sert de cadre idéal pour aborder la permaculture avec un formateur et designer, Jean-Bernard Valentin Calvinnac, actif dans ce domaine depuis une dizaine d'années. La permaculture est souvent rapprochée des méthodes ancestrales employées par les paysans d'autrefois, caractérisées par une noblesse d'approche. L'ambition première, héritée des travaux fondateurs, consiste à réintégrer l'être humain dans son écosystème, reconnaissant que l'activité humaine est le principal facteur nuisible actuellement.

La définition proposée par Bill Molison et David Holmgren visait initialement à transformer un système agricole jugé non durable et non pérenne, responsable de l'appauvrissement des sols et de la destruction de la biodiversité. Cette transformation s'est concrétisée par une méthodologie structurée comprenant des outils, des principes et des éthiques spécifiques pour accompagner cette transition écologique.

Les fondements éthiques de la permaculture sont clairs et universels. Ils se résument en trois actions principales : prendre soin de la nature, s'assurer de prendre soin de l'humain, et veiller au partage juste et équitable des ressources. Il est important de noter que cette approche ne se limite pas uniquement au secteur agricole, bien que ce soit son association la plus fréquente.

La permaculture, conceptualisée dès les années 1970-1980 en Australie, s'articule autour d'une dimension philosophique forte qui interroge les modes de fonctionnement de l'individu. L'application de cette méthodologie permet de sortir du cadre purement agricole pour s'étendre au monde de l'entreprise, au cadre familial ou aux associations. Ces bonnes pratiques sont intrinsèquement liées à l'utilisation du bon sens, rappelant l'autonomie nécessaire aux populations insulaires historiques.

La permaculture constitue une des formes de l'agroécologie, aux côtés d'autres systèmes pertinents. Il est possible de mentionner l'agroforesterie, la syntropie, ou encore la méthode biointensive de Fortier au Canada. Des systèmes adaptés aux typologies urbaines, comme la ferme urbaine ou l'aquaponie, partagent également des processus méthodologiques similaires à ceux de la permaculture.

La différence fondamentale avec le conventionnel ou la monoculture réside dans l'attitude adoptée envers la nature. La monoculture tend à lutter contre l'environnement en forçant les choses sur de vastes étendues avec un seul type de plante et un apport constant d'intrants, menant à un sol non vivant. La permaculture adopte l'approche inverse, en observant chaque parcelle et ses microclimats uniques.

L'observation constitue le premier des quatre outils fondamentaux du permaculteur. Il est impératif de prendre le temps d'analyser une parcelle, d'identifier les zones sèches, les zones humides, et de comprendre les phénomènes de ruissellement, surtout face à l'intensification des épisodes de vent et de pluviométrie anticipée par les rapports climatiques. Il faut mettre en place des stratégies pour capter l'eau ou la détourner afin de protéger les cultures et les habitations.

Le deuxième outil est la carte de secteur, qui consiste à transposer sur un plan toutes les observations réalisées : vents dominants, sens du ruissellement, trajectoire solaire, mais aussi facteurs humains comme l'accès des véhicules ou les nuisances sonores. Cette démarche est pragmatique et scientifique, pouvant nécessiter l'utilisation de drones pour cartographier et redessiner les parcelles. Vient ensuite le zoning, outil logique basé sur le bon sens.

Le zoning s'étend de la Zone 0, correspondant à l'habitat où vit la famille ou l'entreprise, jusqu'à la Zone 5, qui est la zone laissée à l'état sauvage, où l'intervention humaine est minimale, voire inexistante. Les zones intermédiaires sont définies en fonction de l'usage et de la fréquence des visites. Par exemple, les poules sont placées près de la maison (Zone 1) pour minimiser la distance parcourue quotidiennement pour les soins.

L'application de ces principes remet fondamentalement en question les modes de fonctionnement sociétaux et personnels. Cela s'étend à l'harmonisation des cycles propres à l'homme et à la femme, cherchant la compréhension de la différence plutôt que l'instauration d'une égalité parfaite. L'éducation des enfants et la place des aînés, souvent marginalisés dans la société occidentale, sont également des sujets d'interrogation profonds.

Dans certaines cultures, les aînés sont accueillis et accompagnés jusqu'à la fin de vie, contrairement à la tendance occidentale de les mettre de côté. De plus, la communication non violente (CNV) est un outil essentiel dans les échanges, que ce soit dans le milieu professionnel ou personnel. Exprimer clairement ses besoins et ressentis sans tomber dans l'accusation ou le reproche est fondamental pour des relations saines.

Utiliser le 'je' et non le 'tu' qui tue et qui est accusateur.

De nombreux projets de design ont été réalisés sur l'île, couvrant des contextes très hétérogènes, allant des agriculteurs cherchant une transition hors du conventionnel aux écoles mettant en place des jardins pédagogiques. Des aménagements ont également été faits pour des hôtels souhaitant proposer aux touristes une redécouverte des plantes aromatiques et des senteurs locales, créant ainsi une expérience sensorielle.

En fait c'est quelque chose d'universel.

L'application des principes de la permaculture implique un changement de paradigme dans la manière d'évaluer l'efficience ou la résilience des systèmes. Il est nécessaire de faire comprendre aux gens qu'il existe une autre façon de regarder le vivant et les interactions sociales, en prenant tout en compte pour juger de la performance d'un système.

Un facteur souvent omis dans l'analyse économique est le coût externe. Des études ont déterminé que pour chaque euro produit par l'agriculture conventionnelle, un autre euro est dépensé par la collectivité pour nettoyer les sols, assainir l'environnement ou soigner la population. Ainsi, un euro conventionnel équivaut en réalité à deux euros de dépense globale.

S'inspirer des mouvances de la néoagriculture devient une nécessité face au réchauffement climatique, aux tensions géopolitiques et aux restrictions croissantes concernant les intrants comme l'azote. La mise en place d'une permaculture globale sur l'île pourrait constituer une solution viable pour aborder la question cruciale de l'autonomie alimentaire locale.

Un exemple concret d'application existe sur la Plaine des Palmistes, où une exploitation agroécologique de 1,8 hectare est gérée en permaculture depuis cinq ans, ayant été transformée à partir d'une friche totale. L'aménagement de cette surface a été pensé de manière stratégique avant toute intervention physique, intégrant l'observation topographique initiale pour définir la structure finale du lieu.

La conception initiale s'est faite sur papier, utilisant des crayons de couleur pour visualiser l'agencement des différentes zones. Il a fallu réadapter et reconfigurer le plan initial en fonction de l'espace réellement disponible. L'exploitation se divise entre une zone agricole active et une zone conservée en forêt pour respecter l'environnement existant.

Il était hors de question de raser l'intégralité du site et d'éliminer les arbres endémiques, les fougères, les orchidées, ainsi que la faune locale comme le papang ou la petite caille Pay. Un sentier endémique a été créé, aidé par un naturaliste pour répertorier les espèces indigènes, assurant ainsi la préservation des habitats pour la faune.

L'exploitation n'est pas conçue comme une simple unité agricole destinée uniquement à la vente de production. Elle a été pensée comme un jardin de transmission et un espace pédagogique ouvert aux écoles, centres de vacances et au grand public. Les visiteurs cherchent à comprendre comment cultiver efficacement sans recourir aux engrais ou pesticides chimiques.

La permaculture ne bouleverse jamais le sol, contrairement aux pratiques bio qui peuvent impliquer le labourage, ce qui déséquilibre l'activité des vers de terre. Le sol est amendé par l'ajout de matière végétale et de fumier en surface. Lorsque des maladies arrivent, comme les pucerons sur les agrumes, l'intervention se fait par des moyens naturels, par exemple par le lâcher de coccinelles, qui accomplissent en une journée le travail d'un pesticide.

La gestion des nuisibles repose sur le principe de complémentarité au sein du réseau vivant. Face aux escargots, la solution n'est pas d'isoler une culture comme la salade, mais de diversifier les plantations avec des choux, des carottes, de la citronnelle, afin que l'escargot ne se focalise pas. De plus, la présence d'oiseaux ou du tang aide à réguler naturellement les populations de limaces.

Enfin, l'adaptation au territoire est primordiale. Il est nécessaire de choisir les plantes en fonction du climat local, de l'ensoleillement et de l'humidité. Tenter de planter des pommes de terre en plein champ dans une zone comme la Plaine des Palmistes sans protection, où trois semaines de pluie peuvent anéantir la récolte, démontre la nécessité de choisir ce qui fonctionne localement.