Valuable insights
1.La Mission Racine, un acte d'interventionnisme étatique: Créée en 1963, la Mission Racine symbolise une intervention étatique sans précédent pour aménager le littoral du Languedoc-Roussillon, visant à créer des réussites urbaines et architecturales majeures.
2.Diversification économique forcée de la région: Face à la fragilité causée par la surproduction viticole et les crises successives, la région devait impérativement réinventer son économie en misant sur le tourisme de masse.
3.Maîtrise foncière par l'État pour éviter la spéculation: L'État a acquis des milliers d'hectares sous couvert d'exploitations agricoles, empêchant l'envolée des prix fonciers et garantissant la réalisation des projets d'aménagement touristique planifiés.
4.Une administration de mission pour l'efficacité: Le concept d'administration de mission, soutenu par Valéry Giscard d'Estaing, a conféré à l'équipe une liberté d'action et une rapidité d'exécution inédites, sous la direction de Pierre Racine.
5.Planification structurée en cinq unités touristiques: L'aménagement du littoral s'est articulé autour de cinq grandes unités, incluant la création ex nihilo de stations emblématiques comme La Grande Motte et le Cap d'Agde.
6.L'architecture comme signature des nouvelles stations: Chaque station s'est vue attribuer un architecte en chef, garantissant une facture architecturale propre et fonctionnelle, incarnant l'esprit des vacances, aboutissant à des reconnaissances patrimoniales.
7.Le changement climatique menace l'héritage bâti: L'urbanisation massive, concentrée près du rivage, expose désormais les réalisations de la Mission Racine aux risques croissants d'érosion et de submersion marine, nécessitant une réorganisation territoriale.
Genèse et Contexte de la Mission Racine
La Mission Racine, établie le 18 juin 1963, demeure le symbole d'un interventionnisme étatique majeur ayant engendré de réelles réussites tant urbaines qu'architecturales le long du littoral languedocien. Cinquante ans plus tard, face au vieillissement des stations balnéaires existantes et à une urbanisation jugée non maîtrisée, aggravée par le réchauffement climatique, des questions fondamentales se posent sur l'avenir de ces aménagements. Il est essentiel de revenir sur l'histoire de cette initiative, l'opération d'aménagement touristique d'une telle ampleur n'ayant jamais été entreprise par l'État auparavant.
Le pari du Littoralisation économique
L'économie du Languedoc-Roussillon reposait historiquement sur l'exploitation du potentiel de sa côte, mais cette région avait développé une véritable société du vin depuis le milieu du XIXe siècle. Cette extrême spécialisation, selon Pierre Racine, grand commis de l'État chargé de l'aménagement, est devenue une cause de fragilité régionale. Les crises vitivinicoles des années 30, 50 et 70, dues à la surproduction et à la concurrence étrangère, ont démontré que la région, face à l'effondrement de son marché vinicole et à sa sous-industrialisation, devait impérativement réinventer son modèle économique, plaçant le tourisme de masse au centre de toutes les attentions.
- Près de 8 millions de touristes sur le littoral.
- Impact économique de 14 milliards d'euros.
- La station de La Grande Motte, bien que critiquée pour son architecture singulière, est labellisée Patrimoine du XXe siècle.
Le Contexte Économique : De la Vigne au Tourisme de Masse
Avant l'intervention planifiée, le tourisme balnéaire régional s'était développé de manière spontanée, les pouvoirs publics se contentant de suivre le mouvement, comme le souligne l'historien Jean Sagnes. Au début des années 60, seuls trois cent mille vacanciers fréquentaient les rivages du Languedoc, principalement en août. Ce chiffre était jugé faible au regard des ambitions gouvernementales, surtout avec l'avènement des congés payés, l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages et la généralisation de l'usage de l'automobile. Le littoral disposait pourtant d'atouts considérables : diversité des paysages, longues plages de sable et environ 300 jours d'ensoleillement par an, faisant de cette zone l'une des plus lumineuses de France.
L'idée d'exploiter le littoral germe dès la fin des années 50, avant que l'État ne s'engage dans une opération d'aménagement touristique d'une telle ampleur.
Objectif stratégique : Concurrencer la Méditerranée
La Mission Racine répondait à une approche très interventionniste et stratégique sur le plan économique. L'État cherchait à dynamiser la région en captant les flux touristiques se dirigeant vers la Costa Brava en Espagne, tout en élargissant l'offre touristique française. Il s'agissait de structurer le tourisme populaire de la Côte du Golfe du Lion, distinct du tourisme plus huppé de la Côte d'Azur.
Mise en Œuvre : Acquisition Foncière et Organisation
Les premières étapes concrètes débutent avec la signature des lettres de mission par le Premier ministre de l'époque, Michel Debré, le 15 avril 1959, désignant trois commissaires régionaux à l'aménagement du territoire. Abel Thomass, ingénieur du génie maritime, sillonne la région pour sélectionner les emplacements des futures stations balnéaires. Pour prévenir l'envolée des prix, l'État, via la Compagnie du Bas Rhône Languedoc (CNR), se porte acquéreur de 1200 hectares sous couvert d'options pour y créer des exploitations maraîchères et fruitières. Cette stratégie foncière a permis d'éviter la spéculation immobilière.
- Achat de trois mille hectares supplémentaires.
- Inclusion de 25 mille hectares dans des zones d'aménagement différé (ZAD).
- Acquisition des terrains au prix évalué par l'administration des domaines.
La création du commando de choc
Pour concrétiser cette vision, il fallait une équipe capable d'agir avec dextérité et rapidité, ce que Pierre Racine décrivait dans son livre comme un « commando dans l'administration française ». L'idée venait de Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre de l'Économie et des Finances, qui souhaitait confier ce vaste chantier à une administration de mission plutôt qu'à une structure classique. Cette nouvelle forme de gestion accordait à la Mission Interministérielle une liberté totale sur l'aménagement et l'utilisation des budgets alloués, tout en étant protégée des remises en cause ministérielles car dépendant directement du Premier ministre. Le décret officialisant la Mission pour l'aménagement touristique du Languedoc-Roussillon est signé par Georges Pompidou le 18 juin 1963, nommant Pierre Racine à sa tête.
Le Cadre du Développement : Urbanisme et Infrastructure
La première tâche majeure fut l'établissement d'un Plan d'Urbanisme d'Intérêt Régional (PUR), approuvé le 26 mars 1964, qui fut repris dans un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme. Ce plan visait à intervenir sur la bande côtière de 220 kilomètres de long sur une dizaine de kilomètres de large. L'aménagement s'articulait autour de cinq grandes unités touristiques : La Grande Motte, le Bassin de Thau, Gruissan/Leucate/Barcarès, et Saint-Cyprien. Chacune de ces unités associait d'anciennes stations à une nouvelle, conçue ex nihilo, comme La Grande Motte et Port Camargue, dont les travaux débutèrent respectivement en 1965 et 1969.
Aménagements environnementaux et réseaux
Pour limiter l'extension urbaine, des coupures vertes étaient prévues entre chaque unité touristique. L'Office National des Forêts et le futur Conservatoire du Littoral concevaient des espaces verts à l'intérieur des nouvelles stations et des parcs en périphérie. Le PUR prévoyait également la création d'un réseau de voies de communication, l'assainissement des étangs, la démoustication, et l'amélioration des équipements portuaires et aériens, ainsi que de nouveaux réseaux d'eau potable et d'évacuation des eaux usées. Ces travaux d'équipement gigantesques, évalués à 700 millions de francs en valeur 1963, devaient être achevés avant l'édification des premiers bâtiments.
L'Identité Architecturale des Nouvelles Stations
La réussite du projet reposait sur le parti pris des architectes et urbanistes : créer pour ces stations une architecture incarnant l'esprit des vacances et un urbanisme fonctionnel. Chaque station bénéficiait de son propre architecte en chef, exclusivement rattaché à la Mission Racine, assurant la surveillance des constructions pour garantir la conformité avec les plans. Cet équilibre permettait de composer une facture architecturale unique pour chaque lieu, conférant une écriture propre à chaque réalisation.
- La Grande Motte : Jean Balladur privilégie la forme pyramidale des immeubles.
- Port Camargue : Mise en avant de l'univers marin.
- Gruissan : Forme sétoise caractérisée par des immeubles coiffés de 'boutins'.
- Leucate et Barcarès : Définis par leurs ports respectifs et la linéarité du site.
L'image voulue par l'architecte [pour le Cap d'Agde] fut affadie selon Pierre Racine, suite à la modification du projet initial de toit-terrasse par l'imposition de la couverture en tuiles canal.
Le triomphe des ports et la reconnaissance patrimoniale
Hormis Leucate et Barcarès, les stations furent construites autour d'un port nouvellement créé. Pour Pierre Racine, les ports constituaient la réalisation la plus spectaculaire de l'aménagement, quatorze étant finalement creusés sur les dix-neuf prévus à l'origine. Le port de La Grande Motte, inauguré en juillet 1967, fut le premier maillon de cette chaîne. Aujourd'hui, la qualité architecturale et urbaine de plusieurs sites est reconnue : Le Cap d'Agde, Gruissan, La Grande Motte, Port Barcarès et Port Leucate ont été classés Patrimoine du XXe siècle en 2010.
Héritage et Défis Contemporains : Climat et Urbanisation
La réussite initiale de la Mission Racine masque désormais une urbanisation mal maîtrisée du littoral, visible par l'étalement massif et difficilement contrôlable. L'espace accordé à la voiture et au commerce a souvent surpassé celui réservé aux espaces publics et à la nature. Après la crise pétrolière de 1973, l'État, endetté, peine à maintenir ses missions. Les lois de décentralisation Defferre de 1982 et 1983 transfèrent des compétences aux collectivités territoriales, faisant des intercommunalités les principaux artisans de la politique littorale dans les années 90 et 2000.
Conséquences environnementales de l'expansion
Cette stratégie, à peine contrariée par un durcissement progressif des règles d'urbanisme, a eu pour effet de restreindre la diversité biologique et, par endroits, l'accès à la plage. De plus, la Mission Racine, en domestiquant la nature pour la commercialiser, a augmenté l'exposition des biens et des personnes aux risques naturels, en localisant les constructions à moins de 500 mètres du littoral. Les problèmes d'érosion des plages et l'élévation progressive du niveau de la mer, projetée jusqu'à 98 cm à l'horizon 2100, poussent les pouvoirs publics à remettre en cause l'urbanisation, notamment dans les zones basses et sableuses du sud Biterrois.
Le Plan Littoral 21 : Nouvelle Orientation
C'est donc moins le vieillissement des stations que les conséquences du réchauffement climatique qui motivent la réorganisation du littoral, lancée en 2016. Le Plan Littoral 21, porté par la région Occitanie, la Caisse des Dépôts et Consignations et l'État, vise à donner un nouveau souffle à l'économie maritime et littorale. Cependant, il reste à déterminer si ce plan ambitieux prend pleinement la mesure du chantier colossal qui attend les territoires, impliquant l'adaptation impérative de kilomètres de plages, de campings, d'équipements publics et de millions de mètres carrés d'habitations.
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