Les sociétés de femmes : Mayotte, Ouessant, Gorée

L'intervention est introduite par une experte reconnue pour ses contributions significatives au savoir au sein des Amis de l'Université. Cette spécialiste a déjà présenté de nombreuses conférences portant principalement sur l'histoire, couvrant des sujets variés tels que la traite négrière, la lèpre à la Réunion, et l'histoire des familles capitalistes réunionnaises. Son travail récent a également mis en lumière des biographies féminines importantes, telles que celles de la princesse Niama et Juliette d'du, servant de base à des productions audiovisuelles.

L'experte possède une formation solide en sciences économiques et sociales, ayant enseigné cette matière. Son engagement se manifeste également dans son rôle de porte-parole de l'intersyndicale des retraités de la Réunion et en tant que présidente active de l'association des Amis des arbres (la Dadas). Née sur la Riviera méditerranéenne, elle a obtenu un doctorat avec une thèse centrée sur l'éducation des filles au Cameroun entre 1945 et 1948, démontrant une implication profonde dans les études sociétales.

La réflexion sur les sociétés de femmes débute par une datation personnelle et archéologique. L'experte situe son origine intellectuelle en décembre 1982, lors d'une assemblée générale de 250 femmes chercheuses en histoire, philosophie et littérature, visant à définir des protocoles de recherche sur le thème femme, féminisme et recherche. Parallèlement, elle évoque une naissance symbolique il y a 400 000 ans sur les bords de la Méditerranée, à Terra Amata (Nice), berceau de la première trace européenne du feu.

Plusieurs évidences structurent la place des femmes dans les sociétés premières. La certitude première est que toute personne est née d'une femme. De plus, la longue période d'apprentissage nécessaire aux jeunes humains, contrairement aux animaux, a confié aux mères la responsabilité de la transmission des savoirs et du langage, augmentant ainsi les possibilités d'interprétation et de référence parlée.

Le matriarcat, c'est un faux concept qui a été conçu sur le modèle du patriarcat qui n'a aucune validité sur le plan de la connaissance scientifique.

Le concept fondamental est celui de société matrilinéaire, où la transmission du patrimoine et de l'héritage s'effectue de mère à fille. Dans ce cadre, les hommes (maris ou compagnons) sont rattachés au clan de leur épouse et n'ont pas de clan personnel. Cependant, l'oncle maternel, ou frère de la mère, joue un rôle prépondérant, conférant à cette structure un caractère avunculaire. Le mariage est souvent matrilocal, l'homme allant vivre chez la femme.

La première société examinée est celle de Mayotte, présentée comme une société matrilinéaire d'origine bantoue, bien que cette réalité soit complexifiée par l'influence musulmane et l'intégration républicaine française. Il est important de noter que, malgré l'image de soumission des femmes dans une société musulmane, les femmes mahoraises sont historiquement et actuellement très actives, notamment dans les mouvements politiques récents.

La structure sociale de Mayotte est stratifiée. La première strate est la société matrilinéaire bantoue, où les femmes sont essentielles. La deuxième strate provient de l'installation de marchands arabo-négriers musulmans à partir du IXe siècle, introduisant la loi islamique dans les affaires matrimoniales. La troisième strate est celle de la République française, qui impose des lois égalitaires, notamment sur l'héritage, ce qui crée des tensions avec les structures traditionnelles.

L'application des lois françaises, notamment concernant l'héritage égalitaire, pose problème aux mères, car si le fils est mis à la porte du foyer de son épouse, il doit retourner chez sa mère ou ses sœurs, contrairement à la structure matrilocale antérieure. De plus, la polygamie est interdite depuis 2010, bien que des mariages non officiels persistent. Actuellement, les femmes possèdent terres et immeubles et touchent les allocations familiales, soulignant leur rôle économique central.

Ouessant est décrite comme une île très belle mais rude et aride, soumise à des vents violents. Autrefois peuplée de 3000 habitants, elle n'en compte plus que 700 aujourd'hui, majoritairement des femmes retraitées. L'île est caractérisée par une forte prégnance de l'Église catholique et la présence de nombreux phares, compte tenu de sa situation maritime dangereuse. Le métier de pêcheur y est extrêmement difficile, malgré la qualité exceptionnelle des poissons locaux.

L'absence quasi permanente des hommes, qui partent marins dès l'âge de 13 ou 14 ans pour des campagnes d'un à trois ans, a façonné une société où les femmes géraient tout : nourriture, jour et nuit. Les hommes revenaient souvent étrangers à leurs propres enfants. Un proverbe local conseillait aux jeunes filles de s'accrocher rapidement à un mari, car ils étaient rares.

Nos mères étaient des esclaves, donc il n'est pas question qu'on retourne à cette condition.

L'héroïne de l'île est Rose Roudaut, qui, après une vie de labeur, a sauvé un bateau en novembre 1903 en se jetant à l'eau pour avertir les marins. Bien que médaillée pour cet acte héroïque, elle a terminé sa vie dans la misère. Il est crucial de noter que, bien que les femmes géraient la vie quotidienne, les terres appartenaient aux hommes.

L'île de Gorée, située à 20 minutes en bateau de Dakar, et Saint-Louis du Sénégal sont des lieux majeurs de mémoire de la traite négrière. Saint-Louis fut la première ville fondée par des Européens en Afrique en 1659. Durant trois siècles, ces centres ont alimenté la traite, les rois wolofs fournissant les esclaves contre rémunération aux marchands qui les acheminaient vers les Amériques ou le nord de l'Afrique.

La Signare, déformation du mot portugais 'Señora' (Madame), désignait une femme de statut élevé, souvent propriétaire de maisons construites avec des cellules d'esclaves au rez-de-chaussée et leur habitation au-dessus. Lorsqu'une esclave noire arrivait à Gorée, elle trouvait souvent un mari français. Après affranchissement, elle héritait parfois d'esclaves de son mari, ce qui lui permettait d'assurer son indépendance économique en les louant ou en les vendant.

Plus elles deviennent blanches de peau plus elles deviennent de grandes négrières.

Ce système a produit un paradoxe extraordinaire : plus les femmes s'européanisaient au fil des générations, plus elles s'impliquaient activement dans le commerce de la traite négrière. Ces femmes indépendantes, économiquement puissantes, ont inventé un mode de vie festif, organisant des 'botailles' et maintenant des relations commerciales étendues avec le monde entier via les escales des navires à Gorée.

En conclusion des exemples insulaires, l'experte présente la seule grande communauté matrilinéaire mondiale encore existante en 2024 : les Minanabo, comptant près de 8 millions de personnes entre Sumatra et les îles Riau (Indonésie/Malaisie). Leur vie est régie par un triple système : matrilinéaire (héritage par les femmes), musulman (pour les affaires matrimoniales en ville) et l'influence de l'État. Les femmes dirigent les entreprises et les commerces.

Au sein de la société Minanabo, l'Indoua, la matriarche la plus âgée, détient un titre royal de reine fondatrice. Elle rassemble la communauté pour prendre des décisions concernant la gestion et la fructification de l'argent commun. Une autre société matrilinéaire mentionnée brièvement est celle des Mosuo en Chine, qui est également matrilocale et avunculaire. Les femmes Mosuo maintiennent une liberté sexuelle et choisissent leurs compagnons, les hommes se concentrant sur leur apparence pour être sélectionnés.