Valuable insights
1.L'histoire globale transcende l'archive classique: L'histoire globale utilise une méthodologie transdisciplinaire pour appréhender l'histoire à très grande échelle, intégrant des facteurs environnementaux que l'histoire traditionnelle, centrée sur les archives, négligeait.
2.Le Néolithique : début de la sédentarisation et hiérarchisation: L'adoption de l'agriculture, notamment céréalière, a permis une sédentarisation progressive et l'émergence de sociétés hiérarchisées exploitant une base paysanne.
3.Domestication : un processus humain et animal: La domestication animale fut délibérée et brutale, tandis que l'humanité semble avoir subi une autodomestication progressive liée à la complexification du langage et de la vie communautaire.
4.L'effondrement de l'Âge du Bronze: Vers 1177 avant notre ère, une conjonction de facteurs environnementaux et climatiques a provoqué une « parfaite tempête » entraînant l'effondrement de la majorité des cités du Proche-Orient.
5.Métallurgie et pression environnementale: L'essor de la métallurgie, en particulier du fer, a exigé des ressources énergétiques (charbon de bois), intensifiant la déforestation et l'épuisement des sols dans l'Ancien Monde.
6.Les empires durables s'appuient sur le partage: Les empires stables, apparus après l'effondrement du Bronze, se sont structurés autour de la monnaie métallique, d'une vocation universelle et de la gestion des élites par déplacement.
7.La domination européenne fondée sur la biologie: La conquête européenne des Amériques fut facilitée non seulement par la supériorité maritime, mais surtout par l'apport involontaire de pathogènes dévastateurs pour les populations autochtones.
8.L'Échange Colombien stimule l'Europe: L'importation de cultures à haut rendement (pomme de terre, maïs) venues du Nouveau Monde a permis à l'Europe de dépasser ses propres limites écologiques et d'alimenter son essor démographique.
9.La Grande Accélération et l'Anthropocène: Depuis la Seconde Guerre mondiale, une accélération sans précédent de la consommation d'énergie fossile et de l'impact sur le vivant marque l'entrée dans l'ère de l'Anthropocène.
10.L'histoire globale révèle des chemins non déterminés: L'étude des trajectoires passées démontre que les résultats (comme la domination européenne) n'étaient pas inévitables, soulignant la créativité humaine et la nécessité d'arbitrages politiques éclairés.
Introduction : Avertissements du passé
Il y a environ 3200 ans, une convergence d'événements, notamment d'ordre environnemental, a provoqué famines, révoltes et guerres, conduisant à l'effondrement généralisé des États. Ce scénario, comparé à une situation de type Mad Max, sert d'avertissement face à la combinaison actuelle de pollution, de climat et d'érosion du vivant qui réduit les ressources pour une population croissante. L'histoire traditionnelle a souvent ignoré les paysans, qui constituaient 95 % de l'humanité exploitée, alors que ces communautés tiraient souvent plus de calories de leur milieu que les modèles contemporains ne le suggèrent.
Le rôle de l'anthropologie et de l'histoire globale
L'anthropologie révèle une grande diversité des modes de vie communautaires, contredisant l'idée d'un modèle unique incontournable. L'histoire globale, quant à elle, démontre que le cours de l'humanité n'était pas déterminé à l'avance ; à chaque moment, des carrefours offrent de multiples options. Cet épisode explore les bouleversements environnementaux des 12000 dernières années à travers quatre périodes majeures, incluant le Néolithique, l'âge des empires, la modernité et la grande accélération.
L'histoire globale montre que ce n'était pas déterminé à l'avance. À tout moment, on est à un carrefour et il y a plein d'options sur la table.
Présentation de l'invité et du podcast
Le podcast Circul métabolisme explore les interactions entre l'humain et son environnement. Laurent Testot, journaliste scientifique et spécialiste de l'histoire globale, est invité pour discuter de son ouvrage majeur, Cataclysme, une histoire environnementale de l'humanité. Les discussions s'étendent bien au-delà de la période post-révolution industrielle habituellement étudiée.
Histoire classique vs. Histoire globale
L'histoire globale constitue une méthodologie permettant d'analyser l'histoire à une échelle très vaste. Face à des concepts comme la mondialisation, les méthodologies classiques, fortement basées sur l'archive, se révèlent insuffisantes pour une perspective de longue durée et de grande distance. Depuis les travaux fondateurs de William McNeill en 1963 avec The Rise of the West, l'histoire globale a évolué, McNeill reconnaissant plus tard l'influence déterminante des facteurs environnementaux sur l'ascension européenne.
Le rôle des pathogènes dans la conquête
Alfred Crosby a mis en lumière l'impact des pathogènes. Lors de la conquête aztèque par une poignée d'Espagnols, le différentiel décisif ne résidait pas dans l'acier ou les chevaux, mais dans les maladies apportées involontairement. La variole a décimé jusqu'à la moitié de la population aztèque en deux ans. Ce phénomène explique la conquête rapide des Amériques, alors que l'Europe échouait à conquérir l'Afrique jusqu'à l'isolement de la quinine au XIXe siècle, qui protégea les troupes du paludisme et de la fièvre jaune.
- Transdisciplinarité pour intégrer climat et pathogènes.
- Navigation dans les échelles, du biographique au métaprocessus planétaire.
- Ambition d'une histoire mondiale compatible avec les autres nations, non centrée sur le récit national.
Héritage de Braudel et Wallerstein
L'histoire globale est l'enfant de la longue durée de Fernand Braudel et du système-monde de Wallerstein. L'ambition est de poser des récits humainement compatibles, dépassant les frontières récentes des États-nations qui ont historiquement servi à construire des identités nationales spécifiques, comme l'histoire française centrée sur les Gaulois ou la construction actuelle de l'histoire nationale chinoise.
- Yuval Noah Harari
- David Graeber
- Jared Diamond
- Yan Morice
Désaccords et méthodes en histoire globale
Les désaccords scientifiques, ou polémiques, font partie intégrante de l'histoire globale. Le succès de certains auteurs comme Harari tient à la linéarité de son récit, qui exclut les basculements. La méthodologie peut reposer soit sur la compilation d'œuvres de seconde main, soit sur une collaboration à très grande échelle, où des dizaines d'auteurs exposent différents points d'un objet particulier, permettant au lecteur de se forger son opinion à partir des éléments exposés.
Les limites de la narration unique
Cette approche vise à dépasser les limites du savoir historique classique, basé uniquement sur l'archive, pour aborder des questions immenses. Il est nécessaire d'accepter qu'il existe plusieurs hypothèses simultanées et que les connaissances évoluent, modifiant les a priori établis.
1ère Période : Le Néolithique
Le début du Néolithique, que certains préfèrent nommer Révolution Néolithique, fut un moment dilué dans le temps, survenant immédiatement après la sortie du dernier cycle glaciaire il y a 11700 ans, marquant l'entrée dans l'Holocène. À cette époque, les humains sont présents partout sur Terre, et c'est à ce moment que l'agriculture commence à petite échelle dans plusieurs foyers distincts à travers le monde.
Contexte climatique et foyers agricoles
L'archéologie est complexe, notamment dans les zones tropicales où les traces disparaissent rapidement. Classiquement, le Croissant Fertile (Irak à la Turquie, incluant Israël et l'Égypte) a été le foyer le plus étudié. Cependant, d'autres agricultures sont apparues presque simultanément en Chine du Sud et du Nord, suivies plus tard par l'Amérique centrale, les Indes et la Nouvelle-Guinée. Ces foyers sont datés d'environ 11000 ans pour le Moyen-Orient et la Chine, et plus tardivement pour les Amériques.
- Croissant Fertile : environ 11000 ans avant le présent.
- Chine du Sud et du Nord : apparition quasi simultanée au Croissant Fertile.
- Amérique Centrale, Indes, Amazonie : apparues plus tardivement, autour de 10000 ans avant le présent.
- Nouvelle-Guinée : foyer inattendu, autour de 7800 ans avant le présent.
Agriculture et domestication
L'accent a été mis sur les céréales car elles ont permis la construction des civilisations. Leur avantage réside dans la récolte à date fixe, synchronisable avec un calendrier solaire, ce qui autorise l'émergence d'un roi-dieu et, par conséquent, de formes de sociétés hiérarchisées capables d'exploiter une base productive.
Sélection et équilibre alimentaire
Le processus de domestication des céréales, comme le blé, a duré environ 4000 ans au Moyen-Orient, commençant par la sélection des céréales qui restaient fixées à l'épi. Durant cette longue phase, les communautés continuaient à consommer des ressources sauvages (chasse, escargots) pour compléter leur alimentation. Il est crucial de noter que les céréales étaient systématiquement associées aux légumineuses (pois, soja, fèves) pour assurer l'équilibre alimentaire et fixer l'azote dans le sol, limitant l'érosion.
Domestication animale et autodomestication humaine
La domestication animale implique des changements morphologiques, comme la réduction du cerveau chez le chien par rapport au loup gris, favorisant des traits néothéniques (juvéniles) et diminuant la méfiance. Concernant les humains, l'hypothèse de l'autodomestication est privilégiée ; elle se serait produite bien avant l'agriculture, au moment où les humains ont appris à parler et à vivre en communautés plus grandes, partageant des idées abstraites. Des signes d'autodomestication sont même observés chez les éléphants pour réduire l'agressivité au sein du groupe.
Agriculture et sédentarisation
Des traces de sédentarité existent très tôt, comme sur le site de Sungir en Russie il y a près de 30000 ans, où des chasseurs-cueilleurs se sédentarisaient temporairement l'hiver. Cependant, la sédentarisation liée à l'agriculture n'est devenue dominante qu'il y a 7000 ans, marquant une expansion rapide du modèle agricole. Dans certaines régions, comme la Zomia en Asie du Sud-Est, les populations pratiquaient une agriculture sur brûlis de tubercules, leur permettant de se déplacer pour échapper aux pouvoirs centraux, contrairement aux systèmes basés sur les céréales.
Diversité des pratiques agricoles néolithiques
Des formes agricoles alternatives, comme la « forêt gourmande » théorisée par Fabrice Dejours, montrent des systèmes multi-strates (arbres fruitiers, lianes, plantes au sol, racines) qui sont beaucoup plus fertiles qu'une monoculture. Ces systèmes favorisent l'autonomisation des communautés car ils permettent de nourrir une famille avec peu de surface, réduisant la dépendance aux marchés extérieurs pour le blé, par exemple. Ces pratiques, qui peuvent impliquer des centaines de plantes distinctes, rappellent les premières formes d'agriculture.
Il y a énormément de diversité linguistique, politique et cetera que quelque part c'est rassurant. C'est-à-dire qu'il y a pas que le modèle que nous on essaie aujourd'hui de présenter comme incontournable sur la planète.
- Diversité des modes d'agriculture (céréales vs. tubercules).
- Hiérarchies variables, allant de l'égalitarisme relatif à des structures plus marquées.
- Subordination féminine fréquente, avec quelques rares exceptions à nuancer.
Agriculture et démographie
La sédentarisation et les nouvelles formes de domestication ont permis une explosion démographique. Il y avait environ 5 millions d'humains chasseurs-cueilleurs il y a 10000 ans ; au début de notre ère, ce nombre atteignait 240 à 250 millions. L'essentiel de cette multiplication s'est produit à partir de 6000 ans avant notre ère, amorçant une courbe de croissance qui ne cessera de monter, se heurtant parfois à des limites écologiques.
Les trois phases de l'atteinte écologique
L'impact humain sur l'environnement se divise en trois phases. La première, ancienne, concerne la chasse aux grands animaux, peu impactante malgré les changements climatiques. La seconde, depuis le Néolithique, implique une déforestation et une destruction des écosystèmes à long terme par les civilisations consommatrices de ressources biotiques. La troisième phase, commencée il y a 70 à 100 ans, est infiniment plus destructrice et affecte toutes les échelles du vivant, menant à des scénarios de prédation systématique où la survie des espèces dépend de décisions humaines.
On peut trouver des traces de prédation humaine dans un très lointain passé, mais pas un massacre aussi systématique que ce qui commence déjà à se dessiner au 19e siècle et qui est devenu la norme de nos jours.
2ème Période : Les empires
La deuxième période, couvrant l'Âge du Bronze et du Fer (environ -3000 à 500 après J.-C.), a profondément bouleversé les sociétés, notamment avec l'avènement de la métallurgie. Cette période voit l'apparition simultanée des premières villes dans l'Ancien Monde (Irak, Iran, Égypte, Chine), où les élites urbaines se spécialisent, y compris dans la métallurgie, tandis que la majorité de la population reste paysanne et dispersée.
L'émergence des réseaux de l'Âge du Bronze
Le bronze, alliage d'étain et de cuivre, exigeait des échanges étendus car les métaux se trouvaient dans des conditions géologiques différentes. Cela a favorisé l'émergence d'une élite guerrière partageant des technologies (chariots à roues, armes en bronze) et s'échangeant génétiquement sur des milliers de kilomètres. Ce système-monde de l'Âge du Bronze s'étendait de l'Irlande à la Chine il y a 3500 ans. Cependant, vers 3200 ans avant notre ère, des troubles climatiques et sismiques ont mené à la « parfaite tempête » décrite par Eric Klein, provoquant l'effondrement de la plupart des États du cœur de l'Âge du Bronze.
- Environ 200 villes au Moyen-Orient furent pillées et incendiées.
- L'Égypte a résisté aux invasions des « Peuples de la Mer ».
- L'effondrement a créé un vide permettant l'émergence de nouvelles technologies.
Métallurgie et déforestation
L'accès au fer, nécessitant une température de fusion plus élevée (environ 1200°C), a démocratisé l'accès à des armes plus performantes, bouleversant les règles de la guerre et du commerce, marquant l'entrée dans l'Âge du Fer. Cette métallurgie exigeait du charbon de bois, car les bûches n'offraient pas une combustion suffisamment linéaire et stable. La production de charbon de bois, un savoir-faire de chau-fournier, impliquait de vastes coupes de bois.
Le cycle de fertilité agricole et ses limites
Pour maintenir la fertilité des sols céréaliers dans l'Ancien Monde, il fallait conserver des bois à proximité pour le taillis, permettant de renouveler la matière organique par la coupe et le broyage des feuilles. Il fallait entre 2 et 5 hectares de taillis pour un hectare de céréales. Ce système n'était pas pérenne : lorsque la population augmentait, le rythme des rotations s'accélérait, épuisant le sol. L'érosion des sols et le manque de matière organique forçaient alors les civilisations à chercher de nouvelles terres par la conquête, comme les Grecs envahissant la Perse.
Les peuples précèdent les forêts, les déserts s'en suivent.
- Le charbon de bois, plus léger et plus efficace que le bois brut, était essentiel pour la métallurgie.
- Les villes anciennes récupéraient les excréments et l'urine (l'or jaune) pour entretenir la fertilité des champs périphériques.
- En Afrique centrale aujourd'hui, l'insécurité pousse les déplacés à produire du charbon de bois pour survivre, alimentant une déforestation majeure.
Empires et religions universelles
L'apparition des premiers empires effectifs (Sargon en Irak, premiers pharaons en Égypte, il y a 5000-5500 ans) coïncide avec l'écriture et des formes d'empires diffus qui ne duraient pas longtemps. Des formes impériales beaucoup plus durables apparaissent à partir d'il y a 2700 ans, associées à trois processus majeurs : l'apparition de la monnaie métallique, le développement d'empires à vocation universelle, et l'émergence des religions universelles.
Monnaie, compromis et gestion impériale
La monnaie métallique remplit les fonctions de thésaurisation, d'échange et de mesure de la valeur, apparaissant simultanément en Asie Mineure, en Inde et en Chine. Les empires universels, bien que souvent fondés sur la conquête militaire, privilégiaient le partage du pouvoir interne. Le modèle classique consistait à déplacer les élites des régions conquises pour les envoyer gérer d'autres parties de l'empire où elles devaient collaborer avec le régime bénéficiaire, évitant ainsi les batailles rangées coûteuses.
Le Moment Axial et la densité humaine
Il y a environ 2500 ans, le Moment Axial voit l'émergence des grands fondateurs de religions contemporaines (Confucius, Bouddha, prophètes juifs, philosophes grecs). Ces systèmes se basent sur une règle partagée, la règle d'or, qui construit une nouvelle morale au-delà du clivage « nous contre eux ». Ce développement est probablement lié à la forte densité humaine rendue possible par l'agriculture et l'amélioration des flux commerciaux, notamment avec l'introduction massive du chameau et du dromadaire pour le transport longue distance.
Premières grandes cités
Les premières grandes villes durables, construites en matériaux solides, comme Rome ou Chang'an, sont apparues relativement récemment, il y a environ 2500 ans. Contrairement aux centres monumentaux de l'Âge du Bronze ou aux centres cérémoniels des Amériques, où seule l'élite résidait en dur, ces nouvelles cités impliquaient une densité d'habitants beaucoup plus élevée dans des structures permanentes, forçant à réfléchir à des problèmes d'infrastructure comme l'évacuation des ordures et la gestion de l'eau.
L'urbanisme et la gestion des flux
La gestion de ces concentrations humaines exigeait des réflexions sur l'évacuation des déchets et l'approvisionnement en ressources. Ces développements urbains s'inscrivent dans la continuité des structures impériales et des avancées démographiques et commerciales qui ont permis à l'humanité de dominer les écosystèmes en prélevant des ressources de manière stable.
3ème Période : La modernité
La troisième période, allant de la colonisation des Amériques jusqu'à la Révolution Industrielle, est marquée par des bouleversements et des échanges à une échelle sans précédent, notamment par des déplacements massifs de personnes et de biens. Vers l'an 1000, l'Europe était une partie sous-développée de l'Asie, derrière les empires islamiques, l'Inde et la Chine, qui possédaient plusieurs siècles d'avance technologique.
Le rattrapage technologique européen
L'Europe comble rapidement son retard en se greffant sur le commerce arabo-musulman, acquérant des innovations cruciales comme les chiffres arabes et le zéro. Le succès des cités-États italiennes dans le commerce des épices, suivi par la découverte des îles à sucre dans l'Atlantique (Canaries), où un premier génocide fut commis pour la culture intensive de la canne à sucre, alimente cet élan expansionniste.
Colonisation et domination européenne
La raison de l'expansion européenne, selon McNeill, réside dans la capacité à ouvrir de nouvelles voies commerciales vers l'Asie. L'arrivée de Christophe Colomb aux Amériques, suite à des erreurs de calcul, a déclenché l'Échange Colombien. Ce bouillon de culture entre animaux domestiques européens (poulet, porc, bovin) et populations autochtones a introduit des pathogènes contre lesquels les Amérindiens n'avaient aucune immunité.
Le déclin démographique américain
Les estimations démographiques des Amériques varient, mais une chute drastique est constatée : de 60 millions d'habitants avant contact, il ne reste que 5 millions un siècle plus tard, principalement à cause des pandémies. Cette dépopulation a entraîné une difficulté à valoriser les terres. L'agriculture locale (comme la milpa mésoaméricaine, association maïs-haricot-courge) fut supplantée par la monoculture de canne à sucre, nécessitant une main-d'œuvre corvéable, ce qui mena à l'épuisement des populations amérindiennes et au recours à la traite négrière africaine.
- Échange de fusils et de verroterie contre des captifs.
- Déforestation massive de la côte brésilienne au XVIIe siècle pour la canne à sucre.
- Augmentation de la pression sur les ressources pour fournir le bois nécessaire à la cuisson et au raffinage du sucre.
Domination européenne et commerce
Les Espagnols ont mis la main sur une quantité colossale d'argent, notamment via la mine du Potosi en Bolivie, fournissant 80 % de l'argent mondial entre 1550 et 1800. Cet argent servait principalement à acheter des biens manufacturés asiatiques (textiles indiens, soie, thé et céramiques chinoises), car ces régions étaient autosuffisantes et n'échangeaient que contre des métaux précieux, créant un déficit commercial pour l'Europe.
Le capitalisme comme outil de domination
Progressivement, les Néerlandais puis les Britanniques ont évincé les Ibériques grâce à des outils capitalistes comme les compagnies des Indes, qui fonctionnaient comme de véritables organismes étatiques. La Compagnie des Indes britanniques a pu dominer l'Inde, alors bien plus riche et peuplée, par effet de levier et alliance, plutôt que par la seule force brute, contrairement à la France qui a eu recours plus directement à la force militaire pour conquérir l'Algérie.
Domination européenne et conquête des océans
La supériorité européenne sur les océans reposait sur une capacité maritime avancée, notamment l'artillerie embarquée perfectionnée. Les Chinois avaient inventé la poudre et l'artillerie, mais les Européens, notamment les Néerlandais, ont innové en concevant le tir par sabord, permettant de placer les canons au ras de l'eau pour tirer sous la ligne de flottaison des navires adverses, une tactique décisive.
L'exploitation des terres non exploitées
Cette maîtrise maritime a permis de contourner les barrières écologiques de l'Europe. L'arrivée en Océanie et en Australie, suite à la dépopulation par les pathogènes, a créé des « hectares fantômes » selon Kenneth Pomeranz : des terres considérées comme non mises en valeur par les occupants indigènes. L'Europe a ainsi drainé des ressources agricoles et forestières mondiales, évitant la famine et la déforestation interne qui auraient dû la bloquer au début du XIXe siècle.
Europe vs. Chine
La Chine présente une trajectoire inverse, caractérisée par un développement continental cyclique. Chaque cycle dynastique (environ 200 ans) voit une expansion démographique qui entraîne érosion, rupture des ouvrages hydrauliques, famines, révoltes et effondrement politique. La Chine a connu cinq ou six effondrements dynastiques majeurs en mille ans, leur enseignant le coût de l'effondrement écologique, contrairement à l'Europe qui n'a pas subi de choc de cette ampleur depuis le XVIIe siècle.
La gestion des ressources et la politique volontariste
En Europe, la déforestation massive (ne laissant que 8 à 10 % de couvert forestier en France) est désormais reconnue comme néfaste pour le climat et le cycle de l'eau, menant à des politiques volontaristes de reboisement. Cependant, la prédation des pays développés sur les pays tempérés continue d'augmenter, aggravant les famines ailleurs, comme le montre Mike Davis dans Génocide Tropicaux, où l'Inde meurt de faim pendant que ses propriétaires terriens exportent du blé vers la métropole.
Energies fossiles et révolution industrielle
La Révolution Industrielle, comme l'agriculture néolithique, a mis du temps à se mettre en place. Le charbon était utilisé à Londres dès le XIVe siècle car le bois devenait trop cher. Le passage massif aux énergies fossiles, selon la thèse d'Andreas Malm, aurait permis de fixer la main-d'œuvre près des villes. Cependant, le bois restait nécessaire pour soutenir l'extraction minière (étayer les mines souterraines).
Le basculement énergétique décisif
La première énergie mondiale est le muscle humain, suivi de l'animal. La bascule énergétique majeure, où la consommation d'énergies fossiles dépasse celle des énergies musculaires, a lieu pendant la Première Guerre mondiale, passant des chevaux aux tanks. Cette disponibilité énergétique massive est la condition sine qua non du confort actuel, mais elle est directement liée au changement climatique, dont les conséquences affectent de manière disproportionnée les populations les plus pauvres.
Il y a cette partie d'abord formidablement non éthique du changement climatique, c'est-à-dire qu'on ait une fraction relativement limitée de l'humanité à avoir eu les fruits de cette croissance, mais tout le monde va payer l'addition.
- L'énergie fossile a amplifié la prédation sur le vivant, déjà amorcée par la métallurgie.
- La déforestation de la Méditerranée par les forges a pris des millénaires ; aujourd'hui, la destruction est beaucoup plus rapide.
- Le raisonnement politique doit intégrer l'énergie comme une condition, mais pas comme l'unique moteur des dynamiques historiques.
4ème Période : La grande accélération
La Grande Accélération, qui débute après la Seconde Guerre mondiale, représente une explosion de toutes les courbes socio-métaboliques (fabrication de chaussures, usage de l'eau, etc.), marquant le début de l'Anthropocène, une planète entièrement façonnée par l'homme. Cette période est caractérisée par une plongée dans l'infiniment petit de l'organisation : l'unité du bit (information), l'atome (énergie) et la génétique (vivant).
Recoder le vivant et les pollutions invisibles
L'humanité est en train de recoder l'information du vivant, alors que les plantes, les forêts et le plancton rendent la planète habitable. La destruction visible (brûler l'Amazonie pour le soja) masque une destruction invisible et persistante, comme l'usage des plastiques et des PFAS, molécules dites éternelles qui perturbent le développement du vivant à l'échelle planétaire. Il est urgent d'interdire le plastique sauf pour les usages haute technologie.
- Le modèle agricole actuel détruit le vivant, consomme l'eau potable et contribue au changement climatique.
- Des scientifiques proposent des méthodes plus valorisantes et capables de capter les gaz à effet de serre.
- Les intérêts économiques sont si implantés que les politiques lèvent les contraintes écologiques au lieu de réformer le système.
Quelles pistes ouvre l’histoire globale ?
L'histoire globale nourrit la prospective en démontrant que les trajectoires sociétales ne sont pas déterminées. Il y a toujours des options sur la table. L'idée que l'Europe était destinée à dominer le monde, par exemple, est contredite par l'avance technologique chinoise il y a mille ans. L'histoire révèle aussi l'extraordinaire créativité humaine pour s'adapter à tous les milieux, même les plus hostiles, comme les peuples de Patagonie vivant nus dans le froid extrême.
L'arbitrage politique et l'humilité cognitive
La politique ne doit pas s'enfermer dans des positions de principe idéologiques (marché seul ou État seul), mais doit aboutir à des consensus acceptables par ceux qui subiront les solutions, tout en respectant les limites planétaires. Il faut une hygiène de la pensée pour naviguer dans la complexité. L'étude des savoirs locaux, balayés par la colonisation, rappelle qu'« un humain ignorant n'existe pas » ; il faut être humble face aux connaissances d'autres expériences.
Un humain ignorant, ça n'existe pas. Chacun a des savoirs. Ils sont plus ou moins valorisés. Nous avons tendance nous à ne valoriser que nos savoirs à nous.
- Nécessité de fixer des cadres aux politiques en fonction des limites planétaires.
- Apprendre des expériences agricoles passées, notamment celles des Amériques, pour revitaliser la production alimentaire.
- Adopter une éthique du très long terme plutôt que de se focaliser sur le court terme immédiat.
Résumé de l'épisode
L'exploration du métabolisme des sociétés sur 12000 ans, via l'histoire globale, révèle des dynamiques complexes où chaque période marquante est plus courte que la précédente, signalant une accélération des changements et une superposition des crises. Le Néolithique a vu l'essor agricole et les premières hiérarchies ; l'Âge des Empires a structuré les sociétés par la métallurgie et les religions universelles, introduisant de nouveaux pathogènes ; la Modernité fut marquée par la domination européenne rendue possible par la maîtrise maritime et l'Échange Colombien.
La Grande Accélération et les leçons finales
La Grande Accélération post-Seconde Guerre mondiale symbolise l'emprise humaine globale sur le vivant, alimentée par l'énergie fossile. L'estimation est que la dernière décennie de croissance est en cours, sans capacité systémique à aborder les crises interconnectées. Néanmoins, l'histoire globale rappelle que les trajectoires ne sont jamais figées. La diversité des adaptations passées et la nécessité de faire des arbitrages éclairés, en considérant toutes les facettes d'un problème, sont les clés pour envisager des futurs plus durables.
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