Conférence inaugurale André Tricot :Attention et participation en classe avec le numérique

Des groupes de travail ont été mis en place pour aborder la question du climat scolaire et du bien-vivre ensemble, répondant ainsi à une attente forte des enseignants et des familles. Cette initiative est née d'une rencontre entre la mairie d'Anguines-les-Bains et l'application Lili lors d'un séminaire des territoires numériques éducatifs. La municipalité recherchait des solutions concrètes pour améliorer le bien-être des enfants en classe, trouvant l'outil particulièrement pertinent après une conférence axée sur les émotions et les neurosciences.

L'outil Lili est mobilisé pour des activités sortant des séquences de français classiques, intégrant la mobilisation corporelle et l'improvisation théâtrale. Ces activités moins structurées sont particulièrement bénéfiques pour les enfants confrontés à la peur de l'échec, le travail en groupe étant également un soutien majeur pour ces profils. Des modules spécifiques comme "Je m'exprime" se concentrent sur la posture, le jeu de rôle et l'écoute de l'autre, tandis que "Je grandis" encourage le questionnement philosophique où l'adulte n'est pas détenteur de toutes les réponses.

Une des grandes forces de cet outil est d'assurer une continuité éducative sur tous les temps de l'enfant, s'appuyant sur des activités purement audio, ce qui rassure les parents par l'absence d'écran. De plus, l'enseignante apprécie l'intégration directe des compétences psychosociales dans des séquences de français ou d'EMC, évitant ainsi de surcharger un emploi du temps déjà dense.

L'intervention du professeur André Tricot, membre du laboratoire Epsilon à l'Université de Montpellier, se concentre sur la psychologie cognitive appliquée à l'apprentissage numérique, en ciblant spécifiquement l'attention et l'engagement en classe. Les deux ressources fondamentales pour apprendre sont identifiées comme étant l'attention des élèves et leurs connaissances préalables. La présentation vise à définir l'attention et à expliquer comment les enseignants peuvent optimiser cette ressource, tout en traitant de l'engagement plutôt que de la simple participation.

Bien que l'attention semble intuitive, sa définition claire n'est apparue que dans les années 1970-1980. Elle constitue une fonction cognitive de sélection d'une partie de l'environnement afin d'être plus efficace dans les traitements appliqués à cette sélection. Depuis les années 1980, trois composantes sont reconnues. Dans le cadre scolaire, l'attention sélective et l'attention exécutive (ou contrôle attentionnel) sont jugées particulièrement importantes pour les apprentissages.

Les théories générales de l'apprentissage, comme celles de Piaget, ont peu de pertinence en classe car les apprentissages scolaires possèdent des caractéristiques uniques. L'apprentissage par adaptation à l'environnement est automatique et non volontaire, partagé par toutes les espèces animales. Cependant, les humains ont développé la capacité d'apprendre des connaissances secondaires qui n'ont pas d'utilité immédiate, mais qui prendront sens plus tard. Ces apprentissages non adaptatifs sont extrêmement exigeants en termes de ressources attentionnelles, contrairement aux apprentissages primaires.

Les caractéristiques des apprentissages scolaires sont telles que les théories générales de l'apprentissage comme celle de Jean-Piager par exemple ont très peu de pertinence en classe.

Le chercheur David Gary a souligné que les connaissances primaires (utilisées depuis 200 000 ans, comme le langage ou la reconnaissance des visages) sont apprises par simple imprégnation. Les connaissances secondaires, comme les mathématiques ou l'écriture apparues récemment (il y a 7000 ans pour les maths), ne peuvent être acquises sans une attention soutenue car le cerveau n'a pas eu le temps d'évoluer pour les apprendre par simple adaptation.

Le terme participation est souvent utilisé, mais l'engagement est préféré, la participation collective étant une modalité de cet engagement. Des recherches de 2014 ont établi un lien direct entre les niveaux d'engagement et l'attention. Ces niveaux sont définis de manière comportementale, allant du passif au niveau 4, qualifié d'interactif, où les élèves collaborent activement pour construire des connaissances.

Le génie de l'enseignant réside dans la capacité à trouver des consignes qui mobilisent une attention accrue. Pour la tâche simple de lire un texte, les stratégies visant le niveau 3 d'engagement (compréhension profonde, inférences) sont plus efficaces que la consigne simple de lecture. Par exemple, rédiger un résumé ou réaliser une carte mentale obtient de meilleurs résultats dans la majorité des études comparatives.

Le fait de faire des pauses fait que pendant un moment, vous n'avez plus à être attentif à une information nouvelle et donc vous pouvez diriger votre attention sur comprendre ce qui est en train d'être montré.

L'autre approche pour gérer l'attention consiste à limiter les risques de distraction, ou perte attentionnelle. La théorie de la charge cognitive distingue la charge essentielle, nécessaire à la réalisation de la tâche d'apprentissage, de la charge extrinsèque, constituée des informations parasites dans la situation d'enseignement. Lorsque la tâche est trop exigeante ou contient trop d'informations parasites, les élèves engagés ne parviennent pas à apprendre car leur attention est détournée des sources essentielles.

La seconde partie de la conférence présente les retours d'expérience d'enseignants qui appliquent ces principes. Cathy Lupin, professeure de SVT, se concentre sur le pouvoir du dessin et du schéma pour capter l'attention. Elle rappelle que l'image est le langage naturel du cerveau, formant des images mentales qui facilitent la récupération en mémoire. L'association d'un mot clé à un pictural entraîne un double encodage, verbal et visuel, essentiel à la mémorisation.

Un schéma bien construit attire l'œil et aide à focaliser sur l'essentiel, réduisant ainsi la charge extrinsèque. L'élève qui produit son propre schéma (sketchnote ou carte mentale illustrée) devient acteur de son apprentissage, mobilisant simultanément audition, vision et motricité fine. Cette activité multisensorielle garantit que l'attention ne se disperse pas, car elle est pleinement engagée dans la sélection, la reformulation et l'hiérarchisation de l'information.

Le dessin et le schéma constituent des outils puissants pour favoriser la mémorisation grâce au double encodage.

Nathalie Bâti et Amélie House présentent leur projet en école maternelle utilisant la robotique avec Bibi l'abeille et son ami Mathieu la tortue. Le projet répond au besoin d'action et de sens, en s'appuyant sur un univers narratif captivant pour des enfants dont l'attention soutenue est très brève (3 à 6 minutes). Les activités de programmation, utilisant des robots comme la Bibotte, sont précédées d'actions débranchées pour ancrer le sens.

Gaël Allé, professeur d'espagnol, a revu ses rituels de début et de fin de séance pour automatiser les acquis (vocabulaire, conjugaison) et ainsi diminuer la charge cognitive, libérant des ressources pour de nouveaux apprentissages. Chaque rituel est balisé par un visuel et souvent un indice sonore, ce qui aide les élèves à réguler leur attention et à s'engager davantage. Le rituel "Poker Conge" est cité comme un favori permettant une conjugaison aisée.

André Tricot conclut en soulignant la complémentarité des retours d'expérience avec ses recherches théoriques. Il insiste sur le fait que les rituels décrits par Gaël reposent sur le pouvoir de l'automatisation, qui baisse la charge cognitive sur certaines connaissances pour libérer des ressources. Ce principe est connu depuis l'Antiquité sous le nom d'enrichissement de l'encodage : l'ajout de rythmes, de rimes ou d'émotions améliore la rétention.

Antoine Carrier et Jérôme Avril présentent le projet "Rap Pratique", qui vise à faire écrire et rapper les élèves sur des notions apprises en classe. Ce projet collaboratif permet d'atteindre le niveau 4 d'engagement, contrairement à la simple écoute de vidéos pédagogiques qui plafonne souvent au niveau 3. Les élèves réinvestissent les notions apprises, développent la confiance en soi et peuvent même aborder des sujets sociétaux comme le harcèlement ou le décrochage scolaire.

En conclusion, bien que l'importance de la pédagogie soit centrale, il est essentiel de trouver la bonne compatibilité entre les stratégies pédagogiques choisies et les technologies utilisées. L'attention reste une ressource précieuse que les pratiques enseignantes peuvent soit augmenter, soit gaspiller, et les supports numériques doivent être conçus avec une grande rigueur pour éviter de submerger les élèves ou de créer un sous-investissement attentionnel.