Comment l’IA tue les jobs de la classe moyenne (et c'est voulu)

Un remplacement silencieux des employés de la classe moyenne s'opère actuellement à l'échelle mondiale, souvent sans que les personnes concernées en aient conscience. Les quatre principaux géants de la technologie ont enregistré des bénéfices historiques en 2024, atteignant 268 milliards. Cependant, ces résultats ont été obtenus au détriment du licenciement de centaines de milliers de travailleurs, affectant systématiquement la classe moyenne. Microsoft a récemment annoncé la suppression de 9000 postes supplémentaires. Ce phénomène correspond à l'élimination progressive de ce que les économistes désignent comme les emplois de compétences intermédiaires, incluant les secrétaires, comptables et assistants administratifs.

Contrairement aux machines industrielles qui ciblaient principalement la main-d'œuvre ouvrière, l'intelligence artificielle impacte désormais les diplômés, les cadres et les cols blancs. Le nombre de licenciements est tel que certains prévoient que 2025 sera l'année des suppressions d'emplois massives. Cette érosion des postes intermédiaires accentue l'écart entre les plus riches, qui possèdent les compétences pour tirer profit de cette révolution, et les autres. Le pouvoir de négociation des travailleurs s'affaiblit face à des systèmes d'IA fonctionnant sans salaire ni interruption.

La révolution de l'IA se distingue des précédentes car elle ne s'attaque pas aux emplois manuels en premier lieu. Historiquement, la révolution industrielle a touché les ouvriers, et la digitalisation les opérateurs de saisie. L'IA effectue le mouvement inverse, ciblant directement les professions considérées comme stables au sein de la classe moyenne éduquée. Cette transformation est déjà visible dans plusieurs secteurs professionnels hautement qualifiés, modifiant les besoins en personnel et les structures de travail.

Cette transformation s'opère dans un climat de silence, sans annonce publique majeure ni débat sociétal. Un sondage récent a révélé que seulement une personne sur dix utilisait régulièrement des outils comme Chat GPT, la majorité étant incapable de définir clairement leur fonction. Pendant que 90 % de la population reste ignorante, les entreprises, notamment aux États-Unis, implémentent ces technologies massivement. Une étude de McKinsey publiée en 2024 indique que 15 à 30 % des heures de travail dans les emplois de cols blancs pourraient être automatisées d'ici 2030.

L'accélération actuelle de l'adoption de l'IA repose sur trois facteurs déterminants. Premièrement, la qualité des modèles a franchi un seuil critique ; des systèmes comme GPT-4, Gemini 2.5 Pro ou Claude rivalisent désormais avec des experts humains, là où Chat GPT il y a deux ans commettait des erreurs grossières. Deuxièmement, le facteur coût est décisif : embaucher un comptable coûte environ 3500 € par mois en France, tandis qu'une IA comptable coûte environ 50 € par mois, rendant le calcul économique évident pour les entreprises.

Le troisième facteur est la pression concurrentielle : les entreprises qui n'adoptent pas l'IA risquent d'être distancées par celles qui le font. Face à ce risque pour l'économie nationale, le gouvernement français a lancé le plan Plan IA, un programme de financement visant à maximiser le nombre d'entreprises utilisant l'IA d'ici 2030. L'ensemble de ces éléments place l'économie dans une véritable course à l'armement technologique.

Dans cette course technologique, les emplois de la classe moyenne constituent les premières victimes. Il est important de noter que les emplois les plus vulnérables ne sont pas nécessairement les plus simples, mais ceux qui combinent un travail sur ordinateur, des processus standardisés et des tâches répétitives. La comptabilité et la finance sont particulièrement exposées, car des IA peuvent déjà gérer les factures, les fiches de paie et les déclarations fiscales avec une grande efficacité.

Un piège majeur réside dans le fait que l'IA ne se limite pas aux tâches simples ; elle affecte également les postes complexes, mais d'une manière différente. L'IA ne remplace pas l'expert, mais augmente sa productivité de manière exponentielle. Par conséquent, une entreprise qui nécessitait auparavant dix experts pourrait n'en avoir besoin que de deux, entraînant le licenciement des huit autres. Cette dynamique de transformation, bien que brutale, n'est pas sans précédent historique, comme l'illustre la révolution agricole.

Le spécialiste entre en compétition avec l'IA, le généraliste orchestre l'intelligence artificielle.

Les secteurs les plus menacés sont ceux où les processus sont bien définis. Au-delà de la comptabilité, la rédaction et le marketing sont fortement impactés, car le copywriting, les articles de blog et les communiqués de presse peuvent être générés par les meilleurs outils d'IA du marché. L'analyse de données bénéficie également aux IA, capables de traiter de vastes quantités d'informations pour créer des rapports complexes. De plus, dans le service client, les chatbots et agents IA gèrent déjà 80 % des requêtes dans certaines entreprises.

L'histoire montre que lors de la révolution industrielle, 40 % de la population travaillait dans l'agriculture, un chiffre tombé à moins de 2 % aujourd'hui grâce aux tracteurs et à l'industrialisation. Ces travailleurs sont devenus ouvriers, puis employés de bureau et ingénieurs. L'économie s'est transformée, et le niveau de vie a explosé. La transition avec l'IA sera similaire, mais potentiellement beaucoup plus rapide et plus brutale.

Cette révolution technologique est potentiellement la plus profitable de l'histoire, y compris par rapport à la digitalisation ou l'arrivée du PC personnel. La raison principale est son accessibilité. Il n'est plus nécessaire de posséder des millions d'euros pour acheter des machines industrielles, ni d'avoir dix ans d'études en informatique pour développer une application. Il suffit désormais d'un ordinateur et d'une connexion Internet pour commencer à créer de la valeur.

L'ère actuelle est qualifiée de fenêtre d'opportunité : l'IA est suffisamment mature pour être utile, mais pas encore suffisamment démocratisée pour que l'ensemble de la population la maîtrise. Cette situation rappelle celle d'Internet en 1995, période durant laquelle les fondateurs d'Amazon ou Google ont bâti leur fortune. Dans cinq ans, la maîtrise de l'IA sera généralisée et la concurrence féroce. Actuellement, il est possible de prendre cinq ans d'avance sur ses futurs concurrents.

L'intelligence artificielle ouvre de nouvelles voies lucratives. La première opportunité réside dans l'entrepreneuriat IA, où une seule personne équipée des bons outils peut accomplir le travail qui nécessitait une équipe de dix personnes il y a cinq ans. Par exemple, une entreprise cliente accompagnée sur Spiv a triplé sa capacité de contenu grâce à l'automatisation. La deuxième opportunité majeure est de devenir consultant en IA, car la demande dépasse largement l'offre, les entreprises paniquant face à la nécessité de s'adapter.

La création de contenu, autrefois un domaine fermé nécessitant des moyens de production importants, est remodelée. Il existe désormais une place considérable pour les nouveaux créateurs qui aident la masse à appréhender et utiliser ces outils dans leur quotidien. Il s'agit de se positionner comme une autorité pour enseigner à une niche spécifique – avocats, analystes financiers – comment utiliser ces technologies pour simplifier leurs tâches journalières.

Devenir un généraliste IA est le passeport pour prospérer dans cette nouvelle ère, mais cette fenêtre ne restera pas ouverte éternellement. Chaque mois, l'IA devient plus accessible et plus de personnes comprennent son potentiel, diminuant l'avantage concurrentiel individuel. Dans deux ou trois ans, il sera probablement trop tard pour prendre de l'avance. Il est crucial de comprendre que l'IA ne remplacera pas ceux qui l'utilisent ; elle déplacera simplement le centre de compétence.