Video thumbnail

    À la recherche des œuvres perdues (3) - William Marx (2021-2022)

    Valuable insights

    1.La double raison de l'existence des œuvres: Les œuvres existent parce qu'elles ont été créées par l'esprit productif et parce qu'une exigence sociale a assuré leur conservation jusqu'à la réception actuelle.

    2.La palme comme métaphore de l'esprit mûrissant: Le poème "Palme" de Valéry utilise la maturation du fruit comme métaphore de l'esprit qui produit continuellement, nécessitant parfois un choc extérieur pour cristalliser l'œuvre.

    3.Création et dépendance au langage et à l'altérité: Le créateur, même isolé, travaille toujours en fonction d'une connaissance du semblable (l'humanité) et utilise le langage, un outil fondamental reçu de l'extérieur.

    4.L'état poétique naturel face à la poésie artificielle: L'état poétique est une réaction spontanée et naturelle face à la beauté du réel, que la poésie cherche ensuite à recréer artificiellement par des moyens spécifiques.

    5.Conservation contre l'ordre naturel de dissipation: La conservation des œuvres et des paysages va à l'encontre de l'ordre naturel des choses, qui favorise la perte et la destruction, nécessitant une action volontaire.

    6.Le paradoxe de la destruction créatrice selon Valéry: Les notes de Valéry indiquent que la conservation produit du désordre, car l'activité de l'esprit tend naturellement à effacer l'instant précédent, rendant la postérité un effort contre nature.

    Énigme initiale et la question de l'œuvre

    L'introduction de la leçon présente une image énigmatique tirée d'un cahier de brouillon de cours de politique de Valéry daté de 1943, conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Cette illustration montre une créature indéterminée, féline à tête humaine, se cabrant au-dessus d'un bâtiment en ruine et en flammes. Pour éclairer ce dessin, une référence est faite à la statue de Shiva Nataraja, encerclée de flammes, incendiant l'univers à la fin de chaque cycle cosmique, bien que ce rapprochement soit qualifié de comparatisme sauvage. Cette image est mise en mémoire avant de revenir à la question fondamentale posée précédemment : l'inspiration lagueny sienne, à savoir pourquoi existe-t-il des œuvres plutôt que le néant.

    La double raison de l'existence des œuvres

    Paul Valéry apporte une réponse à cette double question. Premièrement, les œuvres existent parce que l'esprit produit continuellement du nouveau, générant des matériaux pour une œuvre achevée. Deuxièmement, une exigence, que l'on pourrait qualifier de sociale au sens large, est ressentie par le créateur, motivant la finalisation de la production naturelle de l'esprit. Cette production naturelle est le sujet du poème "Palme" qui clôture le recueil *Charmes*.

    Patience dans l'azur chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr viendra l'heureuse surprise une colombe la brise l'ébranlement le plus doux une femme qui s'appuie feront tomber cette pluie où l'on se jette à genoux

    La métaphore de la palme et le mûrissement

    La beauté de cette strophe réside dans la transition insensible aménagée par le poète dans la métaphore de la palme. L'image de la palme désigne métaphoriquement l'esprit qui mûrit ses propres productions. Les quatre causes citées (mûrissement, éclosion, chute du fruit) décrivent un chemin progressif. Si la colombe et la brise relèvent de l'environnement naturel du palmier, l'ébranlement doux ou la femme qui s'appuie entrent dans le domaine de l'expérience humaine, l'émotion servant de cause qui permet à l'œuvre de cristalliser à partir des matériaux accumulés.

    L'œuvre comme produit social et la dialectique du semblable

    L'œuvre prend forme à partir d'une cause extérieure, qui peut être une demande ou une commande, comme ce fut le cas pour Roland Barthes et Paul Valéry lui-même, dont la majorité de la production fut une œuvre de commande. Cette présence du monde extérieur s'accentue dans les vers suivants, qui évoquent littéralement l'inscription de l'œuvre dans la communauté humaine, décrivant le public accueillant les fruits de la création artistique. Cela signifie qu'aucune œuvre n'est faite seule ; elle est doublement reliée au monde extérieur par ses causes et par le monde auquel elle vise à survivre une fois détachée de l'auteur.

    La dialectique créateur/humanité selon Valéry (1945)

    Le 5 janvier 1945, Valéry réfléchit à la dialectique unissant le dissemblable, c'est-à-dire le créateur unique ou exceptionnel, et le semblable, qui est l'ensemble de l'humanité. Le créateur produit pour autrui, pour un autre être humain. Si le créateur revient à lui-même pour comprendre son mécanisme de production, il trouvera inévitablement du semblable au fond de ce dissemblable, car toute œuvre originale se fait en fonction de la connaissance que l'on a de l'homme, le semblable abstrait par excellence.

    • Le semblable est l'objet inconscient du travail de l'unique, le créateur isolé qui cherche sous sa lampe.
    • Le créateur, même isolé, utilise des instruments fournis par d'autres, le principal étant l'acquisition fondamentale du langage.

    Ce que le créateur porte en lui de plus intime est exprimable uniquement parce qu'il a reçu le langage dans son enfance par des personnes qui l'avaient elles-mêmes acquis. Cela éloigne de l'idée commune d'un Valéry érigeant en modèle le cerveau solitaire, à l'image du Robinson, car Robinson utilise toujours le langage, qui est la présence en nous de la société et de l'humanité. Henri Bergson, dans *Les Deux Sources de la morale et de la religion*, exprimait une idée similaire : l'âme de la société est immanente au langage, même dans la pensée solitaire.

    L'état poétique et la perception du réel

    Si la relation avec autrui est première dans l'existence des œuvres, il est également vrai que les œuvres se découpent spontanément dans le réel sous le regard, parfois sans exercice de la volonté. La perception et l'interprétation agissent comme des filtres : des paysages, des objets, des pierres peuvent saisir et subjuguer le regard. Le narrateur de la soirée mentionne des éléments anesthésiques, des arbres qui saoulent, des ciels qui coupent la parole. Ces éléments provoquent ce que Valéry nomme l'état poétique.

    L'état poétique éprouvé face au réel

    L'état poétique est un état naturel éprouvé spontanément dans l'existence. Le rôle de la poésie consiste précisément à recréer artificiellement cet état que l'on éprouve ordinairement sans lire de poésie. Il y a confusion fréquente entre cet art d'écrire en vers, la poésie proprement dite, et ce qui est capable d'exciter cet état poétique.

    On confond souvent cet art d'écrire en verre qui est la poésie proprement dite la fabrication de poésie avec ce qui est capable d'exciter cette production avec ce qui est poétique

    L'exemple de la lettre de Chandos

    L'état poétique décrit par Valéry est celui éprouvé par Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal en 1902, paralysé par un arbre majestueux. Dans sa fameuse lettre, Chandos décrit comment une conjoncture de données futiles (un arrosoir, un scarabée) lui expose à une telle présence de l'infini qu'il ressent l'envie d'éclater en paroles. Le malheur de Chandos est son incapacité à mettre en mots l'émotion submergée par la surabondance du réel, la lettre servant de succédané au poème qu'il est incapable de composer artificiellement.

    Paysage, œuvre naturelle et finalité sans fin

    Face à un paysage, même si l'on n'en est pas l'auteur, certains morceaux de l'environnement s'imposent comme l'expression d'une finalité sans fin. Finalité parce que ces portions du monde semblent destinées à l'observateur, sans fin parce que personne n'est matériellement à l'origine de leur production. Cette œuvre d'origine purement naturelle existe parce qu'elle est créée par le regard. Celui qui pénètre le sens de la nature est nommé poète par Stéphane Mallarmé, comme lorsque la nature prépare son théâtre pour l'unique œil lucide.

    La conservation comme acte contre nature

    L'idée que le poète est l'unique individu capable de comprendre le sens du spectacle de la nature est illustrée par Mallarmé, qui note que l'automne prépare des prestiges pour un individu absent, revenu à la ville. Cependant, la création de l'œuvre par le regard n'est pas sans influence sur le réel lui-même. Reconnaître la beauté d'un site conduit à vouloir le protéger, ce qui constitue une action sur le réel, même si cette action est une omission, comme dans le cas d'un mensonge par omission ou de la non-intervention sur un espace sauvage.

    Viollet-le-Duc : L'écologiste avant l'écologie

    L'exemple de Viollet-le-Duc, célèbre restaurateur de monuments médiévaux comme Notre Dame de Paris, révèle une préoccupation écologique précoce. En 1876, travaillant à Lausanne, il réfléchit à la restauration du Mont Blanc dans son état primitif, s'inquiétant de la dégradation du lieu par les activités pastorales et projetant un reboisement pour éviter les éboulements, face aux processions de touristes vaniteux.

    Critère
    Ronsard (Élégie)
    Whitman (Chant du Séquoia)
    Statut de l'arbre
    Habité par des divinités (nymphes), sacré
    Emblème de vigueur masculine, sujet d'un hymne d'abdication
    Conséquence de la coupe
    Déploration, perte culturelle et spirituelle
    Célébration, acte de fondation pour le nouveau colon américain
    Vision du monde
    La culture incite à préserver la nature habitée
    La nature vierge promet une culture nouvelle et virile

    Le texte de Viollet-le-Duc montre que la reconnaissance de la beauté du Mont Blanc aboutit paradoxalement à son altération, le risque de mourir de l'admiration. La perte des œuvres et des paysages est liée à une incurie commune, et leur préservation doit faire l'objet d'une action volontaire, car les œuvres ne subsistent pas naturellement. Simultanément, le premier parc naturel fut créé à Yosemite en 1864, contemporain du "Chant du Séquoia" de Walt Whitman.

    La conservation face à l'ordre du changement

    Chez Ronsard, la conclusion est une méditation sur la transformation perpétuelle du monde, inspirée par l'épicurisme : la matière change de forme continuellement, et conserver la forme est presque contre nature. Chez Whitman, en revanche, le séquoia est devenu purement masculin, symbole de vigueur, coïncidant avec la promesse d'une civilisation nouvelle. La destruction du séquoia pour faire route aux pionniers est un acte de fondation, une dialectique entre création et destruction. Le séquoia abattu devient l'idée même de la fleur chez Mallarmé, absence de toute forêt.

    Cette sacralisation des objets naturels, qu'il s'agisse d'arbres sacrés du Shintô, de la pierre de la Kaaba, ou de montagnes sacrées comme Solutré, est du même ordre que l'acte de Marcel Duchamp transformant un urinoir en œuvre d'art (*Fontaine*, 1917). Ce geste fondateur rappelle que l'émotion esthétique s'est souvent exprimée d'abord sous une forme religieuse, avant la séparation des domaines. L'acte de conservation est intimement lié à la valeur esthétique attribuée à l'œuvre ; c'est la reconnaissance de l'objet en tant qu'œuvre qui favorise sa permanence.

    La conservation produit du désordre selon Valéry

    La conservation, qui paraît naturelle, va en réalité contre l'ordre normal des choses. Dans son cahier de 1943, Valéry note que "la conservation produit du désordre", citant l'église de la Madeleine et Notre Dame de Paris. Ces monuments créent un désordre esthétique en maintenant des styles anciens (néoclassique et gothique) dans un environnement moderne, ce qui était considéré comme anormal au XVIIIe siècle, époque où l'on songeait à les remplacer par des édifices néoclassiques. Paradoxalement, seule la Révolution a sauvé Notre Dame. L'époque moderne est devenue profondément conservatrice depuis deux siècles, faisant de la perte des œuvres un tabou.

    Questions

    Common questions and answers from the video to help you understand the content better.

    Comment Paul Valéry explique-t-il l'existence des œuvres d'art face au néant ?

    Valéry soutient que les œuvres existent d'abord parce que l'esprit produit continuellement du nouveau, et ensuite parce qu'une exigence sociale pousse à leur conservation pour assurer leur subsistance jusqu'à la réception.

    Quel est le rôle de l'état poétique naturel selon les réflexions de Valéry ?

    L'état poétique est un état naturel ressenti spontanément face à la beauté écrasante du réel, et le rôle de la poésie est de recréer artificiellement cet état par un appareil spécial de langage et de rythme.

    Qu'est-ce que la dialectique entre le créateur et l'humanité chez Valéry ?

    Le créateur (le dissemblable) crée toujours pour autrui (le semblable, l'humanité), utilisant des moyens reçus extérieurement comme le langage, qui est la présence de la société en soi.

    Pourquoi la conservation des monuments est-elle considérée comme produisant du désordre par Valéry ?

    La conservation va contre l'ordre naturel des choses qui est la dissipation et le changement de forme ; elle maintient des styles anciens (comme gothique et néoclassique) dans un environnement moderne, créant une dissonance esthétique.

    Quelle est la différence fondamentale entre la vision de Ronsard et celle de Whitman sur la destruction des arbres ?

    Ronsard déplore la coupe des arbres car ils sont habités par des divinités et la culture ; Whitman célèbre l'abattage du séquoia comme un acte de fondation pour une nouvelle civilisation américaine, un passage de témoin.

    This article was AI generated. It may contain errors and should be verified with the original source.
    VideoToWordsClarifyTube

    © 2025 ClarifyTube. All rights reserved.