À la recherche des œuvres perdues (12) - William Marx (2021-2022)

L'évocation des vestiges d'une grande cité désertée par la mémoire rappelle la vanité des gloires passées. Le narrateur médite sur l'opulence jadis présente, où marbres, palais, temples et galeries s'élevaient, contrastant violemment avec le squelette lugubre qui subsiste désormais. Les richesses issues du commerce international, échangeant la pourpre de Tyr contre le cachemire, ont cédé la place à un silence de mort, les palais royaux devenant le repaire des fauves et les sanctuaires des dieux occupés par les reptiles.

La lecture des pages de Volnay, extraites de son chef-d'œuvre Les Ruines, prend une actualité terrible, se transformant en prophéties sinistres face aux collisions chronologiques actuelles. L'Europe assiste à des scènes historiques téléscopées, rappelant la Guerre Froide ou la crise de Cuba. En hommage à Kharkiv, Kherson, Marioupol, Odessa et surtout Kiev, menacée d'un assaut fatal, ces lignes écrites en 1791 acquièrent une résonance poignante.

Il existe un rêve européen de Kiev, que Balzac, dans ses extraordinaires lettres de 1847, nommait l'« éternelle Rome du Nord », supérieure à Saint-Pétersbourg et Moscou. Kiev est présentée comme la métropole sainte de la Russie, l'aînée de Moscou, un lieu chargé d'histoire où les détails pittoresques du voyage de Balzac révèlent un monde ferroviaire en gestation, mais aussi une ville déjà perçue comme inatteignable, un lieu du rêve placé derrière l'horizon de la réalité.

Le rêve de la grande porte de Kiev, conçu par le peintre russe Victor Hartmann en 1869, bien que jamais réalisé, a laissé des dessins qui ont inspiré Modeste Moussorgski. Ce dernier créa une suite pour piano qui se clôt majestueusement sur cette porte fantasmée. Quelques décennies plus tard, Maurice Ravel orchestra cette œuvre, faisant de cette « Grande Porte de Kiev » un tube de la musique classique, illustrant la circulation d'un rêve architectural transposé dans le monde des sons.

Telle est la circulation d'un rêve à travers l'europe, depuis les rives du Dniepr jusqu'à celles de la Seine en passant par la Moskova.

Bien que la ruine soit un destin universel, la réflexion de Volnay sur les ruines ne se limite pas à l'instabilité classique des choses humaines, évoquant le memento mori ou le sic transit gloria mundi. Chez Volnay, cette déploration sert de phase préliminaire à l'élaboration d'un monde nouveau fondé sur des bases plus stables. Ce projet vise à repenser et refonder le monde, faisant de l'œuvre perdue la promesse d'une œuvre nouvelle.

Le projet de Volnay diffère de la résilience moderne, concept souvent galvaudé, qui invite les victimes à simplement rebondir, niant ainsi la douleur de manière indécente. Volnay est un authentique révolutionnaire dans sa volonté de refondation. Il instaure une dialectique entre le passé et le neuf, transformant les ruines en point de départ pour une histoire potentiellement différente, même si elle reste une hypothèse.

Volnay mérite d'être relu pour son soutien farouche à la liberté des peuples et leur dignité égale, comme en témoigne son Voyage en Amérique entre 1795 et 1797. Ami de Thomas Jefferson, il fut cependant victime de l'atmosphère politique américaine, accusé d'athéisme et d'être un agent du Directoire, ce qui le força à rentrer en France. Il y publia une description géographique détaillée des États-Unis, vantée par Sainte-Beuve pour son caractère exemplaire.

Sainte-Beuve mobilisa tout son venin critique pour miner l'œuvre de Volnay, s'attaquant à des détails anecdotiques comme sa prononciation de mots anglais. Le véritable motif de l'intolérance de Sainte-Beuve réside dans le comparatisme anthropologique de Volnay, qui plaçait les Amérindiens sur un pied d'égalité avec l'Antiquité européenne, assimilant les conceptions des Iroquois aux tragédies de Sophocle et Euripide.

Voilà voilà le vrai sacrilège, pour sainte-beuve voilà ce qui lui rend volnay, intolérable c'est un crime pourrait-on dire c'est un crime de lèse occident.

Volnay n'idéalisait pas les « sauvages » ; il notait qu'ils vivaient sans souci du passé ou de l'avenir, mais qualifiait ce bonheur d'illusoire, s'apparentant à la résignation. Cette observation était fondée sur son expérience des prisons de la Terreur, où les condamnés, bien que plus gais, n'avaient pour seul souci que de conserver la vie, chaque instant étant une conquête sur un bien perdu. Ce bonheur précaire est comparé à celui du soldat en guerre.

L'œuvre de Volnay a connu une résurrection partielle au XXe siècle grâce à des intellectuels africains comme Cheikh Anta Diop, notamment dans son ouvrage Nations et culture de l'Antiquité égyptienne au problème culturel de l'Afrique noire d'aujourd'hui. Diop cita Volnay qui, frappé par le sphinx de Gizeh, soutenait que les anciens Égyptiens étaient des Noirs, une thèse que Diop enrichit par des arguments linguistiques, bien que cette théorie reste controversée chez les spécialistes.

De manière significative, la thèse de l'Égypte noire s'est estompée dans les éditions ultérieures des Ruines. L'édition de 1817 supprime la mention de la découverte des sciences par les peuples noirs. L'évolution du texte montre un glissement d'une conception conséquentialiste — où l'incurie résulte de facteurs externes — vers un essentialisme pessimiste, où l'apathie devient un obstacle radical et infrangible à toute réforme ou progrès, marquant l'emportement du pessimisme de Volnay.