Valuable insights
1.Désynchronisation entre perte matérielle et mélancolie: L'existence de périodes de mélancolie, comme dans la Rome antique, n'est pas toujours corrélée à une perte matérielle significative, suggérant une dimension sentimentale prépondérante.
2.La catastrophe comme occasion de conversion métaphysique: Historiquement, les grandes pertes matérielles, telles que la destruction du Temple de Jérusalem, engendrent des compensations métaphysiques, menant au développement de nouvelles conceptions théologiques du monde.
3.L'œuvre humaine issue de la faute originelle: La Genèse établit un lien entre l'œuvre humaine et la faute initiale, symbolisée par les premiers vêtements d'Adam et Ève, faisant de la création une compensation à un manque.
4.L'Âge d'Airain : âge des œuvres et de la mort: Le mythe d'Hésiode associe l'Âge d'Airain à la fabrication d'objets et d'armes, marquant l'avènement de la propriété privée, de la violence mimétique et, par conséquent, de la mort (Thanatos).
5.La poétique des ruines selon Diderot: La contemplation des ruines, illustrée par Hubert Robert, plonge le spectateur dans une solitude qui révèle l'autonomie individuelle et libère potentiellement les dimensions érotiques de l'existence.
6.La ruine comme bien du pauvre et signe: Une fois dépouillée de sa fonction et de sa valeur marchande, la ruine devient un bien accessible aux indigents, tout en acquérant une valeur esthétique nouvelle dans l'art.
7.La ruine comme prémisse de régénération: Le spectacle de la ruine sert d'avertissement salutaire, incitant à bâtir sur des fondations plus durables, transformant ainsi la perte passée en promesse d'une œuvre nouvelle.
8.Le piège chronologique de la reconnaissance littéraire: Les auteurs nés dans les années 50 d'un siècle voient souvent leur œuvre divisée par les historiographes, empêchant une reconnaissance complète car elle n'est jamais entièrement inscrite dans un seul courant central.
Introduction : La Perte et la Compensation Métaphysique
L'analyse des œuvres perdues révèle qu'il n'existe pas de correspondance exacte entre la perte matérielle effective et le sentiment de ruine qui l'accompagne. Des époques, telles que la fin du premier siècle jusqu'à la fin du deuxième siècle à Rome, furent marquées par la mélancolie sans que cette dernière soit uniquement causée par une destruction physique. Selon Plutarque, cette mélancolie pouvait provenir de la perte des dieux, bien que ce type de perte relève davantage du domaine du sentiment que de la matérialité.
la perte des dieux ne relève encore que du sentiment
Inversement, des pertes matérielles substantielles n'engendrent pas nécessairement la mélancolie. Saint-Augustin, par exemple, manifesta presque de la joie suite au sac de Rome en 410 par les armées d'Alaric. Ce phénomène s'apparente, toutes choses étant égales par ailleurs, à un télévangéliste célébrant la chute des tours du World Trade Center en 2001 pour annoncer l'avènement du royaume de Dieu. L'histoire montre que la catastrophe sert souvent de catalyseur à la conversion vers une autre conception du monde, mettant en œuvre une compensation métaphysique de la perte.
- Le développement d'une théologie de l'absence.
- L'élaboration d'une théologie du retrait de Dieu.
- L'émergence de la théologie de la contraction de l'infini, connue sous le nom de *Tzimtzum* dans la Kabbale.
Les Origines Bibliques de l'Œuvre Humaine
La réflexion se déplace ensuite vers les créations humaines, qui sont au cœur de la perte des œuvres. Si l'on considère métaphoriquement le paradis terrestre, il est douteux qu'il y ait eu des œuvres humaines, car Adam et Ève ne travaillaient pas ; tout leur était donné, à l'image des lys des champs dont parle Jésus, qui ne travaillent ni ne filent, mais sont plus richement vêtus que le roi Salomon.
La Première Œuvre Humaine
La première œuvre humaine mentionnée dans l'histoire biblique réside dans les pagnes confectionnés par Adam et Ève en cousant des feuilles de figuier pour couvrir leur nudité, selon le chapitre trois, verset 7 de la Genèse. L'œuvre humaine apparaît ainsi comme le résultat d'une faute, servant de compensation à un manque initial.
La Tour de Babel, ville et tour dont le sommet touche le ciel, représente une œuvre monumentale, bien plus significative qu'un simple pagne de feuilles de figuier. Or, cette construction est destinée à demeurer inachevée et à se transformer en ruine, soulignant la nature précaire des entreprises humaines face à l'ambition divine ou au temps.
Le Déclin Mythologique : De l'Or à l'Airain
La correspondance entre l'histoire humaine et l'histoire des œuvres se retrouve dans les discours mythologiques, notamment celui de l'Antiquité classique, qui évoque le mythe de l'Âge d'Or. Ce mythe postule que le meilleur de l'histoire a déjà eu lieu, et que l'humanité vit depuis dans un lent déclin cyclique. La première expression de ce mythe se trouve chez Hésiode, dans son poème *Les Travaux et les Jours*.
L'âge d'or, quand les dieux et les hommes mortels furent, et en même temps, d'abord les immortels qui ont des demeures olympiennes, firent l'âge d'or des hommes qui parlent sous l'empire de Chronos.
L'Âge d'Airain est fondamentalement l'âge des œuvres manufacturées et, par extension, l'âge de la mort, Thanatos. Contrairement à la Genèse où la dégénérescence est spontanée, chez Hésiode, les dieux s'épuisent à la tâche, leur premier jet étant le meilleur. L'Âge d'Airain est celui de la fabrication, de la création, mais aussi de la disparition inévitable des œuvres, et correspond à l'instauration de la propriété privée et du désir mimétique, selon les termes de René Girard.
Diderot et la Poétique des Ruines
Un écrivain qui a parfaitement saisi cette dialectique paradoxale entre la perte des œuvres et l'exaltation qu'elle procure est Denis Diderot, lors de sa contemplation des tableaux d'Hubert Robert au Salon de peinture de 1767. Diderot y décrit l'émotion procurée par les ruines, invitant le spectateur à anticiper les ravages du temps sur ses propres édifices, installant un sentiment de solitude et de silence face à une nation disparue.
L'Émotion Face aux Débris Architecturaux
Le terme de « poétique des ruines » est lancé par Diderot, comportant un caractère paradoxal, car *polis* signifie construction alors que la ruine relève de la destruction. C'est dans cette tension que réside la productivité émotionnelle et conceptuelle de ces tableaux. La poétique des ruines consiste à mettre en évidence l'homme seul, détaché de tous les liens sociaux et de la société, le plaçant dans un état de mise à distance.
- L'installation du spectateur dans l'isolement, comme si le monde avait disparu.
- La promotion d'une réflexion sur l'histoire et une méditation sur les fins dernières.
- La mise en valeur de ce qui n'a plus de valeur marchande, suscitant une réflexion sur la valeur non marchande des ruines.
Diderot souligne que la ruine, bien que dépourvue de valeur fonctionnelle ou de luxe, devient le bien du pauvre et du miséreux, investissant l'espace déserté par les riches. Lorsque le monument perd sa fonction (par exemple, liturgique, comme les églises vendues comme biens nationaux), il perd sa forme et sa matière devient un bien marchand. Cependant, en compensation, la ruine entre dans le monde des signes, et le tableau qui la représente acquiert une valeur esthétique en mettant en scène la disproportion entre l'humain et le monument.
Volnay : Les Ruines comme Avertissement et Promesse
L'auteur oublié de la fin du XVIIIe siècle, Constantin François Chasseboeuf, dit Volnay (né en 1757), fut victime de la charnière historique, sa carrière étant partagée entre le XVIIIe et le XIXe siècle, ce qui nuit à sa pleine reconnaissance par les historiographes. Volnay fut un libéral critique, un anticérical et un misanthrope fasciné par les peuples lointains, rattaché au courant des Idéologues avec Cabanis et Destutt de Tracy.
Les Ruines ou Méditations sur les Révolutions des Empires
L'ouvrage fondamental de Volnay pour ce sujet est *Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires*, publié en 1791, en pleine Révolution. Augmenté plus tard de l'annexe *La Loi Naturelle ou Catéchisme du Citoyen Français* (1793), il formait un bréviaire idéologique de la Révolution, méditant sur les causes des ruines des anciens états et proposant une morale fondée en raison.
Le dispositif du livre est celui d'une fantasmagorie : un génie enlève le narrateur en voyage en Syrie, où il contemple les ruines de Palmyre. Cette contemplation initiale met en branle la réflexion sur les vicissitudes de l'histoire, joignant la perte des œuvres à la perte des peuples et de leurs civilisations, comme Ninive ou Babylone.
En comparant l'activité et la richesse de l'Europe moderne (Seine, Tamise) à la désolation observée en Asie, le narrateur craint que nos propres contrées ne subissent un jour le même abandon. Cette réflexion sur la soumission à la loi générale de la remise en cause touche le bronze comme la chair, mais elle est tempérée par l'idée que la révolution n'est pas un retour au début du cycle.
La Révolution représente une tentative de repartir sur des bases nouvelles pour éviter les erreurs du passé. Ainsi, l'œuvre perdue devient la prémisse d'une nouvelle création, plus durable, et la ruine agit comme un appel à la régénération, non seulement individuelle mais aussi sociale, pour mettre fin au cycle délétère de la gloire et de la ruine.
Questions
Common questions and answers from the video to help you understand the content better.
Comment la destruction du Temple de Jérusalem a-t-elle influencé la théologie juive selon l'exposé ?
La destruction du Temple de Jérusalem en 70 de notre ère a provoqué le développement d'une théologie de l'absence, une théologie du retrait de Dieu, et l'idée de la contraction de l'infini, connue sous le nom de *Tzimtzum* dans la Kabbale.
Quelle est la distinction fondamentale entre l'Âge d'Or et l'Âge d'Airain selon Hésiode, telle qu'analysée dans la vidéo ?
L'Âge d'Or était caractérisé par une production spontanée et l'absence de travail ou de douleur, relevant du communisme. L'Âge d'Airain, en revanche, est l'âge des œuvres manufacturées, des armes, de la propriété privée, du désir et de la violence mimétique.
Quel rôle Diderot attribue-t-il à la solitude et au silence dans la contemplation des ruines peintes par Hubert Robert ?
Diderot explique que l'effet des compositions de ruines est de laisser le spectateur dans une douce mélancolie ; le silence et la solitude qui règnent autour des débris ancrent le spectateur dans son propre isolement et lui permettent d'anticiper les ravages du temps sur ses propres habitations.
Pourquoi la date de naissance d'un auteur dans les années 50 d'un siècle peut-elle nuire à sa reconnaissance historique ?
Un auteur né dans les années 50 voit sa carrière littéraire ou artistique se partager entre deux siècles. Les historiographes de chaque siècle ne considèrent qu'une moitié de son œuvre, la jugeant moins intéressante que celle des contemporains dont l'œuvre entière tombe dans le champ de vision d'un seul siècle.
Quelle est la thèse principale de Volnay concernant l'origine des religions dans son ouvrage *Les Ruines* ?
La thèse de Volnay, développée après la contemplation des ruines de Palmyre, est que toutes les religions proviennent en fait d'observations astronomiques qui ont été sacralisées et mythifiées sous forme de cultes.
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