10 Industrialisation au XIXe siècle avec François Jarrige

L'historien François Jarrige, maître de conférences à l'Université de Bourgogne et spécialiste de l'histoire sociale et environnementale des sociétés industrielles, intervient pour éclairer le chapitre deux du programme de Première sur l'industrialisation. Ce sujet, bien que canonique en histoire contemporaine, nécessite une réévaluation historiographique. Les programmes scolaires actuels tendent à conserver une lecture très classique, centrée sur le Second Empire et le cas français, alors que les recherches actuelles ont largement abandonné le cadre national au profit d'échelles locales, régionales, comparées et transnationales.

La richesse de l'approche actuelle réside dans ce changement d'échelle et d'objets. Des thèmes cruciaux pour penser l'industrialisation, tels que la question de la pollution, sont paradoxalement peu pris en compte dans la présentation scolaire du phénomène. Les points de passage recommandés, comme Paris haussmannien ou les frères Pereire, illustrent cette focalisation française et temporelle étroite.

La manière de penser le problème de l'industrialisation est en décalage par rapport à l'écriture de l'histoire qui se fait aujourd'hui.

Il est essentiel de distinguer les notions de « Révolution industrielle » et d'« industrialisation » enseignées aux élèves. L'expression « Révolution industrielle », apparue dès les années 1830, fut forgée par des observateurs français pour décrire les mutations économiques de la Grande-Bretagne, en la comparant à la Révolution française. Cette terminologie ancienne est fortement connotée et repose sur l'idée d'un bouleversement radical et rapide.

À l'inverse, l'« industrialisation », terme privilégié dans les années 1970 et 1980, insiste davantage sur le caractère plus progressif et moins fulgurant du changement. Cette approche nuancée permet de mieux appréhender la coexistence prolongée des différents systèmes productifs au cours du XIXe siècle.

Le point de départ de cette transformation est souvent identifié à des inventions clés, comme les brevets de James Watt adaptés à la machine à vapeur pour le travail du textile vers 1776. Cela a permis l'émergence du premier modèle d'usine concentrée, notamment autour de Manchester, utilisant un moteur central pour mécaniser le travail. Cependant, cette forme d'organisation productive, bien que visible, est restée minoritaire durant une grande partie du XIXe siècle dans le monde.

L'essentiel de la production à l'époque relevait de l'artisanat, caractérisé par de petites structures où travaillaient maître, apprenti et compagnon, sans innovation technique majeure. À côté, la proto-industrie représente une phase préliminaire à l'industrialisation, sans usines ni nouvelles sources d'énergie concentrées. Elle se définit par la dissémination du travail productif dans les foyers, souvent durant les temps morts agricoles, impliquant les populations paysannes.

Il est crucial de noter que la distinction entre industrie et agriculture n'était pas aussi évidente qu'aujourd'hui, une grande partie de la production industrielle étant réalisée par des ruraux dans le cadre d'une polyactivité. En France, la proto-industrie atteint son apogée sous le Second Empire, coexistant avec les premières formes d'usines concentrées.

La seconde moitié du XIXe siècle, parfois qualifiée d'âge industriel triomphant, est marquée par des phénomènes spectaculaires qui symbolisent la supériorité industrielle, comme le Crystal Palace de Londres, édifié pour la première exposition universelle de 1851. Ce bâtiment, construit en fer et en verre, témoignait de la maîtrise métallurgique britannique, alors que la construction en pierre restait prédominante en France.

Le chemin de fer constitue un secteur leader essentiel, agissant comme moteur de l'industrialisation en stimulant la métallurgie et la construction mécanique. Au-delà de son rôle économique, il a homogénéisé le marché en permettant une circulation plus rapide des marchandises, contribuant à égaliser les prix des céréales et à réduire les famines. Sous le Second Empire, la construction du réseau centralisé autour de Paris s'accélère significativement, avec l'essentiel des grandes lignes principales achevé dès 1870.

Le second empire est aussi le moment d'approcher de cette forme de production plus ancien qui s'est développé depuis le dix-septième siècle et qui fait que l'on produit à domicile.

Économiquement, le Second Empire est marqué par l'adoption du libre-échange, notamment avec le traité de 1860 avec l'Angleterre, prévoyant la diminution des tarifs douaniers sur des produits stratégiques comme le charbon et les tissus de coton. Financièrement, cette époque voit l'apparition de nouveaux systèmes financiers, incarnés par l'action des frères Pereire et la création du Crédit Mobilier. Ces innovations encouragent les entrepreneurs à s'endetter pour moderniser leurs installations, augmentant ainsi les capacités financières mais aussi les risques de faillite.

La période centrale du XIXe siècle est traversée par une crise sociale majeure, dont l'émergence de la « question sociale » est la manifestation la plus claire. Cette nouvelle manière de penser la pauvreté comme le résultat des transformations économiques, et non plus comme un phénomène naturel, donne naissance aux pensées socialistes réformatrices. La Révolution de 1848 elle-même trouve ses racines dans la grande dépression économique de cette époque, marquée par un chômage important.

Napoléon III chercha à légitimer son pouvoir en affirmant que la modernisation économique et la croissance industrielle résorberaient les tensions politiques issues de 1848. C'est dans ce contexte que le droit de grève est accordé en 1864, bien que le droit syndical ne soit reconnu qu'en 1884. L'octroi du droit de grève permettait d'interrompre le travail pour négociation au niveau de l'atelier, mais interdisait la coalition des ouvriers au-delà du lieu de travail.

La fin du XIXe et le début du XXe siècle sont caractérisés par une réorganisation globale des rapports de force. La Grande-Bretagne, puissance industrielle dominante jusqu'aux années 1880, voit son hégémonie contestée par l'émergence des États-Unis et de l'Allemagne, devenus les leaders industriels à la veille de la Première Guerre mondiale dans presque tous les secteurs.

La France occupe une situation intermédiaire dans ce panorama. Son industrialisation est plus lente et progressive que celle de ses concurrents, restant marquée par l'importance persistante de la paysannerie et de la petite propriété, soutenue par la Troisième République. Cette lenteur s'explique aussi par la persistance de l'énergie hydraulique et le manque de charbon, nécessitant des importations massives.

Malgré cette lenteur relative, cette période introduit de nouvelles dynamiques en France, comme la concentration croissante des chemins de fer et l'émergence d'une classe ouvrière structurée, ainsi que l'essor de secteurs comme l'industrie automobile, où la France fut initialement très puissante.

À la fin du XIXe siècle, le capitalisme nord-américain se distingue par l'émergence de très grandes entreprises, souvent qualifiées de multinationales naissantes, comme la compagnie pétrolière fondée par Rockefeller. Cette époque, qualifiée de « capitalisme sauvage », est caractérisée par une forte mobilité sociale et l'accumulation d'une puissance financière considérable par les groupes industriels, suscitant des débats contre les trusts.

L'expansion matérielle de l'Europe de l'Ouest est étroitement liée à l'expansion coloniale. Les colonies, comme l'Inde sous domination britannique, étaient principalement conçues comme des réservoirs de matières premières (coton, thé) et non comme des espaces à industrialiser. Cette logique a conduit à la désindustrialisation de territoires riches en artisanat, tel que l'artisanat textile indien, supplanté par la concurrence des productions métropolitaines.

Le cœur des recherches de l'intervenant porte sur l'impact environnemental de l'industrialisation, notamment l'émergence des pollutions. Cette période voit une croissance exponentielle des substances toxiques émises, qu'il s'agisse de la pollution atmosphérique due à la combustion du charbon ou de la contamination des cours d'eau par les rejets chimiques. Ces pollutions deviennent plus concentrées avec l'apparition de grandes concentrations industrielles.

Pendant longtemps on a considéré qu'il n'y avait pas de problème de pollution parce que les populations identifiaient la pollution d'abord un signe de prospérité.

Bien que les pollutions de faible intensité aient existé auparavant, leur concentration et leur intensité augmentent fortement après 1850. L'histoire environnementale montre que la pollution est rapidement devenue un problème public et politique, générant des conflits entre riverains et industriels concernant la qualité de l'eau. L'apparition du mot « pollution » dans le langage médical et technique dans les années 1850-1860 marque la prise de conscience de la dangerosité de ces rejets pour la santé humaine.